Section 3A
L'enceinte urbaine du 4e siècle
Etude architecturale
Jacques Seigne

1. Etat des connaissances

En 1983 paraissait le volume 2 de la collection Recherches sur Tours, essentiellement consacré à l'étude architecturale du « rempart du Bas Empire » (Wood 1983).
Les vestiges accessibles y étaient décrits, tant dans leur extension géographique que dans le détail de leurs aménagements et de leurs techniques de construction.
L'ensemble des données permettait à Jason Wood de proposer une synthèse globale de l'organisation de la structure de l'enceinte (en caractères italiques ci-dessous, ce qui est remis en cause aujourd'hui) :
- De forme légèrement trapézoïdale, l'enceinte, quadrangulaire, présente un plan régulier, malgré quelques irrégularités attribuables, selon toute vraisemblance, à des contraintes topographiques.
- Au sud, elle s'appuie sur l'amphithéâtre qu'elle prend en tenaille.
- Le mur extérieur de l'amphithéâtre est "chemisé" pour être inclus dans le rempart et pourvu de cinq tours circulaires.
- La courtine nord, rectiligne, épouse le trait de rive de la Loire.
- Le castrum est doté de deux portes principales, au milieu des courtines est et ouest, sur le principal axe de la ville ouverte.
- Quatre poternes, deux sur le mur nord et deux sur le mur sud leur sont associées.
- Seules les poternes sud-est et nord-ouest sont connues par des vestiges conservés in situ.
- Large de 4,50m en moyenne et construite en maçonnerie, la courtine se dresse sur une puissante fondation débordante, en blocs de grand appareil en remploi, assemblés à joints vifs.
- Vingt-cinq tours de plan circulaire renforcent le mur.
- Massives, d'un diamètre de 7,50m, et établies tangentiellement par rapport au mur, les tours ne comportent d'étage (deux) qu'à partir du niveau de circulation de la courtine.
- Outre les cinq tours semi-circulaires de l'amphithéâtre, les quatre tours d'angle se distinguent par leur diamètre supérieur, de l'ordre de 10m.

Le réexamen systématique et la découverte de nouvelles portions de l'enceinte obligent à modifier les hypothèses avancées en 1983 dans plusieurs domaines (Fig. 3A.1-ti) :
- organisation générale : nombre et position des tours, des portes et poternes, etc.
- détails des éléments constitutifs : nature et forme des tours, hauteur de la courtine, rôle de l'amphithéâtre, etc.
- techniques de construction mises en œuvre : murs en maçonnerie non coffrée, échafaudages, etc.
Ne seront abordés ici que les points nécessaires à la compréhension de la fortification dans l'emprise du site 3.

2. Plan et structure de l'angle nord-ouest de l'enceinte, dans l'emprise du site 3

Le tracé du mur d'enceinte
Le mur se présentait partout arasé au niveau du sol environnant, soit à la cote de ± 52,00 m NGF.
Seul son tracé a été uniformément dégagé.
Le tracé de la courtine ne fait aucun doute, le mur étant préservé sur l'ensemble du chantier.
Les murs ouest M1) et nord (M13) forment un angle fermé de 78° (Figs 3A.1, 3A.3, 3A.4, 3A.5-ti).

Les élévations extérieures
En limite de fouille, l'élévation extérieure de la courtine ouest (M1) n'a pas été dégagée (Fig.3A.5-ti).
En revanche, au nord, l'aménagement du site par la Ville de Tours a conduit au dégagement des remblais effectués au 18e siècle pour l'aménagement des quais et, de ce fait, à l'exposition de l'élévation extérieure de la courtine nord (M13) et de la poterne (Figs 3A.4 et 3A.5-ti, 3A.18-ic, 3A.19-ic, 3A.20-ic, 3A.21-ic, 3A.22-ic, 3A.23-ic, 3A.24-ic, 3A.25-ic, 3A.26-ic, 3A.27-ic, 3A.28-ic).
Le niveau extérieur devant la poterne peut être restitué à la cote de 48,20 m NGF (Figs 3A.2-ti, 3A.16 et 3A.17-ti, 3A.44 et 3A.45-ic).

Les élévations et les fondations intérieures
L'élévation intérieure de la courtine ouest (M1) a été exposée dans les zones 1 et 8, jusqu'au niveau de la sixième assise de fondation (Figs 3A2-ti, 3A5-ti,3A6-ti, 3A7-ti, 3A8-ti, 3A9-ti, 3A.10-ti, 3A.31-ic, 3A.32-ic, 3A.33-ic,3A.34-ic, 3A.35-ic, 3A.36-ic, 3A.37-ic, 3A.38-ic, 3A.39-ic, 3A.40-ic, 3A.41-ic ).
Des tranchées de récupération du 11e siècle ont permis de reconnaître ponctuellement les fondations du mur M1 dans la zone 8 (Figs 3A11 et 3A.12-ti, 3A.39-ic).
Dans les zones 5 et 8, l'arrêt de la fouille avant les niveaux antiques n'a permis que des observations ponctuelles. (Figs 3A.6-ti, 3A.7-ti, 3A.8-ti, 3A.9-ti 3A.10-ti, 3A.11-ti, 3A.12-ti ; 3A.31-ic, 3A.32-ic, 3A.33-ic, 3A.34-ic,3A.35-ic, 3A.36-ic,3A.37-ic,3A.38-ic,3A.39-ic,3A.40-ic, 3A.41-ic, 3A.42-ic, 3A.43-ic, 3A.44-ic).
Dans la zone 7, la poterne et un tronçon de la courtine nord (M13) ont été observés (Figs.3A.13-ti, 3A.14-ti, 3A.15-ti, 3A.27-ic).

Caractéristiques du mur d'enceinte
Il apparaît, dans l'ensemble, tout à fait semblable aux autres fortifications connues du Bas Empire dont il présente les mêmes caractéristiques générales. On verra ci-dessous qu'il se distingue néanmoins de la plupart des autres enceintes par ses tours creuses accolées tangentiellement au mur.

Les élévations
Le mur, en maçonnerie, large de 4,20m à 4,60m, est construit en petit appareil de moellons de calcaire et "cordons de briques" (Figs 3A.2-ti, 3A.7-ti).

L'élévation du mur, comme celle des tours, est constituée d'une masse de maçonnerie parementée en petit appareil à cordons de "briques", posée au-dessus d'une fondation en blocs de grand appareil en remploi. Côté extérieur, la partie inférieure visible de la muraille était formée d'une à plusieurs assises de grand appareil. Le nombre de ces assises variait considérablement d'un point à un autre de la fortification (de une à sept).
Les moellons de calcaire de ± ou - 10 cm de hauteur constituant les parements en petit appareil proviennent des matériaux de démolition et leur nature varie entre le silex et le tuffeau (rares), la grande majorité d'entre eux étant constitués de calcaire coquiller. Ils sont associés à des terres cuites fragmentaires (briques, tuiles, tubuli...), également en remploi, utilisées pour former des cordons doubles horizontaux, en nombre aléatoire et en position suivant les secteurs (Figs 3A.16-ti, 3A.18-ic,3A.19-ic, 3A.20-ic 3A.21-ic, 3A.22-ic, 3A.23-ic, 3A.24-ic, 3A.25-ic, 3A.26-ic, 3A.31-ic).

En coupe, le mur présente la particularité remarquable d'être constitué d'une masse centrale de matériaux divers liés au mortier de chaux blanc, emprisonnée entre deux murets de maçonnerie liée au mortier rose (dit à la brique pilée) et construits sans coffrage (Fig.3A.19-ic).
Les deux murets, de 0,40 à 0,60 m d'épaisseur, servaient à contenir la masse de maçonnerie centrale lors de sa mise en place. Les cordons de briques étaient limités à l'épaisseur de ces "coffrages perdus" et ne traversaient pas la masse centrale du mur (Figs 3A.2-ti, 3A.43, 3A.44, 3A.45-ic).

En général, mais de manière non systématique, chaque "tranche" de travail comprenait une tour et la section de courtine associée jusqu'à la tour suivante. Toutefois de nombreuses irrégularités ont été relevées, en particulier sur le mur nord. Malgré tout, il est certain que le travail fut réalisé par "tranches verticales" et une progression des travaux de la tour d'angle nord/ouest vers la tour d'angle sud/ouest a pu être mise en évidence. Cette technique de travail est confirmée par les changements brusques notés dans la position des cordons de "briques" ainsi que par l'aspect (couverts ou non par une brique,...) et la répartition variable des trous de boulin d'échafaudage (Fig.3A.31-ic) et non de clefs de banches (comme cela avait été proposé) visibles sur les deux parements du mur.

Les fondations
Le mur est posé sur une puissante fondation constituée de blocs de grand appareil en remploi assemblés à joints vifs (Figs 3A.8-ti, 3A.9-ti, 3A.10-ti, 3A.31-ic 3A.32-ic, 3A.33-ic, 3A.34-ic, 3A.35-ic, 3A.36-ic, 3A.37-ic, 3A.38-ic, 3A.39-ic, 3A.40-ic, 3A.41-ic).
Dans la zone 1, les blocs provenant de monuments publics démontés ont été déposés dans une tranchée aveugle beaucoup plus large que le mur en maçonnerie (Figs 3A.32-ic, 3A.33-ic, 3A.34-ic).
Côté intérieur, la fondation formait ainsi une semelle débordante de plus de 1,60m de largeur qui ne dépassait pas le niveau du sol du Bas Empire estimé entre 48,50 et 48,80m NGF.
En de nombreux endroits, le "surplus" de blocs de la semelle débordante a été exploité pour fournir des matériaux à la construction de la résidence, au 11e siècle (Fig.3A.11-ti).
La hauteur des fondations, observée dans des tranchées de récupération (Zones 1 et 8), peut être estimée à un minimum de 2,50m, le bas de l'empilement n'ayant pas été atteint à la cote de 46,25m NGF.
A cette cote, dans la zone 1, la présence de cinq assises de grand appareil était attestée, une sixième rangée apparente n'ayant pas été dégagée.
De fait, le bas des fondations du mur d'enceinte n'a jamais été atteint, en aucun point du périmètre fortifié.
Il est donc très vraisemblable que la masse des blocs a dépassé six assises et il est possible qu'elle ait reposé, au niveau de la nappe phréatique, sur des pieux de bois.

Portes et poternes
La relecture des gravures anciennes et les recherches sur le terrain ont révélé que le mur nord de l'enceinte était percé de 3 portes et poternes, dont celle du "tombeau de Turnus" mise au jour sur le site 3.
Cette poterne n'est plus conservée aujourd'hui que jusqu'au niveau de son linteau en plate-bande clavée. Une gravure du 18e siècle la présente néanmoins avant l'arasement du mur et le démontage du bloc de frise à double rinceaux à enroulement qui l'ornait (Fig.3A.17-ti).
Ce bloc, provenant probablement de la frise d'un grand monument de Tours, a longtemps été considéré dans l'historiographie locale comme le tombeau du fondateur mythique de Caesarodunum.
En remploi dans la courtine nord, il servait d'arc de décharge au linteau clavé de la porte et de diaphragme au berceau de maçonnerie couvrant le passage de la baie (Fig.3A.15 et 3A.16-ti).
Le seuil de la porte a été estimé à 48,30m NGF, pour un niveau de circulation à l'intérieur de l'enceinte aux environs de 48,50 m. L'intrados de la voûte est restitué à 52,20 m et le soffite du linteau clavé se trouve à 50,70 m. La hauteur utile du passage, à l'origine, devait être de l'ordre de 2,30 m.
Le dallage reconnu (section 2, Période 1c, E157) se trouvant à la cote 48,85 m, le passage utile se trouvait réduit, semble-t-il dès la réfection des thermes, à une hauteur inférieure à 2 m (Figs 3A.27-ic, 3A.28-ic, 3A.29-ic, 3A.30-ic, 3A.44-ic).
Dans tout le secteur des blocs de grand appareil en remploi forment la partie inférieure des murs. Ce dispositif apparaît limité aux parois de la poterne jusqu'au niveau du départ de la voûte (Fig.3A.13-ti).
Cette poterne est restée très longtemps en service. Elle l'était au moment de la construction de la résidence puis a été alternativement ouverte et murée jusqu'au 16e siècle (cf Section 2, Période 3).

Hauteur du mur, crénelage et tours
En raison des destructions de la fin du 18e siècle, la hauteur primitive du rempart n'est pas connue sur le site 3. J. Wood (1983) l'estimait à ± 58,00m NGF. Cette estimation semble exagérée.
Le niveau de circulation de la courtine devait plus probablement être situé à la cote ± 56,40 NGF, qui correspond à la hauteur du rempart conservé en de nombreux endroits, et celui du crénelage à ± 58,20m.
La circulation au sommet du mur n'était entravée par aucun obstacle.
Contrairement en effet à beaucoup de fortifications du Bas Empire, les tours associées au rempart ne venaient pas chevaucher la courtine.
De plan circulaire (à l'exception de celles pouvant encadrer les portes est et ouest, de plan polygonal), elles étaient simplement accolées tangentiellement au mur.
Leur "emprise" sur le mur devait probablement correspondre à l'épaisseur du crénelage.
Par ailleurs, et contrairement à ce qui est généralement admis, les tours n'étaient pas massives, pleines jusqu'au niveau de circulation sur la courtine.
Une photographie ancienne de la tour 19, dite de la "brèche des Normands" (Bourassé et Chevalier 1969), de même que les vestiges conservés in situ des tours 1, 3 et 17 révèlent :
- que ces ouvrages étaient creux à partir de la cote NGF ± 53,00m,
- et qu'ils comportaient une chambre basse totalement aveugle.
Ces éléments de l'enceinte, protégés par des murs d'une largeur de 1,25m, étaient donc beaucoup plus fragiles que le reste du rempart, ce qui peut expliquer leur disparition quasi-totale.

La présence de deux tours sur le site 3 (Figs 3A1, 3A2 tours A et B)
Dans le secteur mis au jour par la fouille du site 3, la présence de tours d'origine n'est aujourd'hui assurée par aucune trace directe (Figs3A.1-ti, 3A.3, 3A.4, 3A.5-ti).
J. Wood (1983, pl.I) supposait l'existence de 3 tours : une sur la face ouest (n°7), une à l'angle nord-ouest (n°8) et une sur la face nord (n°9), à l'emplacement de la Tour de Guise du château médiéval.
La tour 7 a totalement disparu et son emplacement probable n'est attesté que par l'interprétation de quelques indices architecturaux :
- symétrie par rapport à l'angle sud-ouest de l'enceinte ;
- reprise ponctuelle du parement extérieur pouvant correspondre au chemisage d'un arrachement ;
- changement dans la structure du parement intérieur : emplacement des trous de boulin, discontinuité des rangs de brique, fissure verticale dans la maçonnerie.
Les deux autres tours (8 et 9), entièrement (re)construites au Moyen Age, ne sont plus identifiables sous les maçonneries du château du 13e siècle.
La logique structurelle et la symétrie permettent de proposer une tour dans l'angle nord-ouest, semblable aux deux tours qui subsistent, marquant les angles sud-ouest et sud-est de l'enceinte.
En revanche, selon la même logique structurelle, l'existence de la tour 9 est pure spéculation.
En effet, les relevés et observations récents indiquent qu'aucun ouvrage ne renforçait le mur d'enceinte du côté du fleuve.
Les dessins de Beaumesnil (1785) et un ensemble de gravures des 17e et 18e siècles laissent, de plus, peu de doute à ce sujet.
En l'état des connaissances, seule l'existence de deux tours apparaît assurée dans l'angle nord-ouest de l'enceinte :
- la tour 7 le long de la courtine ouest
- la tour d'angle 8.
Dans le nouvel inventaire des tours, elles sont respectivement dénommées A et B (Fig. 3A.1-ti)

L'enceinte et la résidence du 11e siècle
L'implantation de la résidence des comtes d'Anjou vers 1050, dans l'angle nord-ouest, montre le rôle que l'enceinte antique joua dans l'organisation générale du nouvel ensemble. La grande salle d'étage de la résidence fut posée sur la courtine qui servit de soubassement à ses murs ouest et nord. La poterne était toujours en usage, donnant accès au fleuve. Dès lors, la question de l'existence et de l'élévation de la courtine et des tours A et B au 11e siècle doit être posée. Le plan de la résidence semble avoir été conçu en tenant compte de ces deux tours. Pour autant, les deux tours antiques ont-elles été intégrées dans la nouvelle construction ? Dans l'affirmative, comment furent alors réorganisés le fonctionnement du système défensif urbain et la circulation sur la muraille ?