Section 3K
Modes de vie des occupants du château
d’après un dépotoir des environs de 1500 (Période 2g)
Olivier Cotté, Philippe Husi, James Motteau

Le dépotoir (F217) occupait tout une pièce en sous-sol de la chapelle attenante, à l’étage, à la grande salle de la résidence du 11e siècle. Auparavant, il s’agissait d’une cave à laquelle on accédait, par un escalier, depuis une pièce à fonction inconnue au rez-de-chaussée. Cette cave permettait une liaison directe avec la berge du fleuve, grâce au maintien en service de la poterne du 4e siècle, étrécie aux 12e-13e siècles à un passage d’homme. Dans la première moitié du 15e siècle, certainement en raison de l’insécurité, le passage fut condamné et la cave convertie en dépotoir que l’on remplissait depuis le rez-de-chaussée.
Dès lors murée, la poterne fut de temps en temps ouverte depuis l’extérieur pour vider le dépotoir, certainement dans le fleuve, puis murée à nouveau. Les traces de trois obturations successives ont été relevées.

Vaisselle de terre et de verre (PH, JM)
Ce dépotoir de la fin du 15e siècle est éloquent par la qualité du mobilier contenu et donc sa capacité à jeter un peu de lumière sur les occupants du château, dont nous ne connaissons pas précisément la diversité des utilisateurs comme de la fonction réelle à cette époque par d’autres sources.
Les observations faites sur le matériel exhumé du remplissage principal montrent une certaine homogénéité des divers éléments, ce qui laisse présumer un comblement régulier à partir d’une zone ouverte. Les nombreux recollages de céramique et traces de morsures animales sur les restes osseux vont dans ce sens.

On retrouve donc ici essentiellement de la vaisselle en terre cuite courante (de stockage, de cuisine et de table) (Pl. 3K, Fig. 2) et un vaisselier de verre tout aussi ordinaire, (gobelets, flacons et bouteilles) à base de sel de potasse végétal local (Pl. 3K, Fig. 3).
Cependant une proportion faible, mais non négligeable, du mobilier se démarque en raison de caractéristiques particulières, qui sont considérés comme les marqueurs d’un niveau social élevé.
Alors que l’élargissement de l’éventail des formes de récipients en terre cuite, avec une spécialisation fonctionnelle de certaines d’entre elles, n’est pas très original pour la période, cette spécificité est ici très marquée (Husi 1996 ; 2003a). En outre, le vaisselier se caractérise aussi par la présence d’éléments plus ostentatoires : des cruches et des pichets en terre cuite munis de décors figuratifs moulés et glaçurés ; des gobelets en verre « cristallin », ou des verres à pied rapporté pincé, à pied ficelé ou bi-tronconiques fabriqués à base de sel de soude d’origine méditerranéenne.
On note aussi la présence d’un récipient en terre cuite décoré, dont la fonction très hypothétique de lavabo reste à confirmer ; ne trouvant pas sa place dans le vaisselier domestique, sa fonction est sûrement ornementale, peut-être sur la table lors d’une manifestation particulière.
Il faut également souligner la présence de récipients en terre cuite et principalement en grès, servant d’emballage pour le transport du beurre venant de Normandie. Bien que l’approvisionnement en denrées alimentaires soit attesté sur la plupart des sites de Tours, la forte présence dans ce dépotoir du début du 16e siècle de récipients voués à cet usage témoigne d’une certaine qualité de l’alimentation. En effet la découverte de ces emballages ne se généralise qu’à la fin du siècle et surtout au 17e siècle. (Husi 2003b : 89).

Un mobilier domestique courant
Les objets mis au jour appartiennent pour bon nombre aux activités domestiques habituelles (épingles en laiton, couteaux, couperet, dés à coudre), au petit équipement (serrures, clefs, verrous et loquets) et à l’habillement (boucles, ferrets et grelots).

Des objets spécifiques
La présence des nombreux boulets en pierre relève également d’occupants à la fonction sociale particulière ; on ne peut s'empêcher de penser à un déclassement des pièces d'artillerie qui défendaient le château ou la ville.

Le régime carné (OC)
Le remplissage principal du dépotoir F217 a permis de mettre au jour environ 10 900 restes animaux qui témoignent de la consommation carnée des occupants du site à la fin du 15e siècle et dans le courant du 16e siècle.
L’étude de ces vestiges fauniques montre en premier lieu une quantité assez importante d’espèces présentes (32 espèces dont au moins 24 de consommées), peu d’autres lots fauniques issus de Tours à la même période peuvent revendiquer une telle variété (Fig. 5).
L’essentiel de l’alimentation est composé des trois principaux taxons domestiques. Ils totalisent 98 % des restes de mammifères déterminés. Par ordre d’importance quantitative dans l’alimentation, on retrouve, les bœufs, les caprinés (moutons et chèvres) et assez loin derrière le porc (Pl. 3K, Fig. 6). Pour ces trois espèces, toutes les parties anatomiques sont présentes, mais on remarque une grande différence de fréquence de ces dernières. En effet, les parties charnues de ces animaux y sont bien mieux représentées que les autres (Pl. 3K, Fig. 7). En outre, il est possible d’observer une certaine forme de standardisation dans l’approvisionnement du site car la plupart des ossements semblent correspondre à des morceaux de carcasses issus du commerce des viandes (membres et côtes). Le cas le plus marquant est celui des caprinés dont on peut entrevoir l’extrême standardisation par le nombre impressionnant d’épaules (215) et de gigots (118) rejetés. Cela montre soit un approvisionnement massif lié à un événement particulier dans l’histoire du site, soit un approvisionnement lié à une occupation particulière nécessitant un approvisionnement continu et standard. Ces pièces de viande apportées sur le site proviennent d’animaux de boucherie abattus essentiellement au moment de leur optimum du rapport âge/poids (entre 2 et 4 ans suivant les espèces). On retrouve aussi quelques individus abattus avant un an (agneaux et porcelets), ainsi que quelques animaux plus vieux, âgés de plus de 4 ans. Ces derniers sont abattus après avoir servi à la production de lait, de laine, à la reproduction, au labour ou au portage. En fin de carrière, ils finissent par être consommés. On retrouve donc ici a la fois des caractéristiques qui peuvent être attribuées à une consommation privilégiée (consommation de jeunes) et une consommation courante (animaux consommés à leur maturité pondérale) et même une consommation plus modeste (animaux de réforme).
Les autres animaux domestiques présents (10 % des restes déterminés) proviennent de la basse-cour. Pour l’essentiel ce sont des coqs, des oies et des canards (Pl. 3K, Fig. 8). Ces derniers, s’ils sont élevés sur place, permettent d’obtenir en plus de leur viande, des œufs, fournissant alors un apport alimentaire non négligeable (quelques fragments de coquilles ont été découverts dans le dépôt).
La place des espèces sauvages dans l’alimentation est plutôt modeste puisqu’ils cumulent à peine 2 % des restes déterminés du dépotoir. Pour ce qui est du gibier à poil, les cerfs, chevreuils, lièvres et lapins sont présents. Le gibier à plume est composé à la fois de gibier d’eau : sarcelle, aigrette, fuligule, héron ; et de gibier terrestre : perdrix, bécasse des bois, pigeon.
Quelques rares restes de poissons sont présents, il s’agit essentiellement de poissons d’eaux douces : brochet, chevaine et carpe. On retrouve aussi quelques mollusques marins importés : huîtres et moules.
L’étude de la faune issue de ce dépotoir montre que nous sommes en présence d’un régime carné associant variété et qualité. Varié, car le nombre d’espèces consommées est relativement important et les milieux naturels mis à contribution multiples (prairies, forêts, cours d’eaux et mer). De qualité, car on observe une sélection importante des meilleures pièces de viande des animaux d’élevage. En outre, parmi ces mêmes bêtes, on n’hésite pas à consommer des agneaux et des porcelets. Tous ces éléments permettent d’envisager, durant cette période, la présence plus ou moins régulière d’individus aisés.
Quelles indications en retirer sur le niveau social des occupants des lieux vers 1500 au regard des différentes catégories de rejets ? Certes l’essentiel du mobilier est ordinaire et comparable à ce que l’on peut trouver dans les dépotoirs des autres sites de la ville. Mais l’existence, même faible, au sein de tous les mobiliers, d’éléments remarquables semble pourtant caractériser la présence d'une population de haut niveau social. Le déséquilibre observé permet d’avancer, comme auparavant, l’hypothèse de la présence d’une population contrastée.
Les rares mentions connues dans les textes révèlent une occupation régulière du site par le capitaine de la place et par des gens du commun (domestiques et quelques hommes d’armes) ponctuée par la présence exceptionnelle de la cour, lors de rares passage du roi et de son entourage pour des cérémonies (Chevalier 1959, 1975, 1999). L’image contrastée livrée par le mobilier reflète alors certainement la dualité entre quotidien et événement.