Section 3E Modes de vie des occupants du Bâtiment 5 (Période 2e, v.600 – v.750) Philippe Husi, James Motteau, Frédéric Poupon
L’essentiel du mobilier provient de fosses-dépotoirs ainsi que des différents éléments qui forment le collecteur situé immédiatement au sud du bâtiment.
La vaisselle en terre cuite (PH) Elle est composée de pots, de coupes ou de couvercles majoritairement de couleur grise ou noire (post-cuisson réductrice) et de nouvelles formes, inconnues dans les niveaux d’occupation du Bâtiment 3, comme les cruches et les tasses de couleur claire (post-cuisson oxydante) (Randoin 1981 ; Husi 2008b,c ; dir. 2013,). Cette distinction peut s’interpréter comme le passage d’un vaisselier du très haut Moyen Age hérité de l’Antiquité à un renouvellement complet des formes en usage achevé au 9e siècle. L’éventail des récipients associés à ce bâtiment présente bien cette transition observée dans l’évolution de la poterie, attribuable au 7e siècle et au début du 8e siècle. Il est intéressant de noter ici que quelques exemplaires de coupes ou de cruches révèlent des traces de passage au feu, attestant l’utilisation à des fins culinaires de récipients dont la fonction première est toujours liée au service et à la table (Pl.3E, Fig. 2). Cette remarque doit nous interroger sur la fonction théorique et l’utilisation pratique de récipients, plus généralement sur les manières de table. L’archéologie est ici une source essentielle d’aide à la compréhension de mécanismes socio-fonctionnels trop souvent stéréotypés en fonction d’usages actuels. Sommes-nous ici en présence d’une vaisselle de terre cuite de qualité ? L’apparition de nouvelles formes n’est pas suffisante pour souligner l’originalité du répertoire et ne fait que traduire une évolution générale des récipients. En revanche, l’apparition encore très marginale de la glaçure avec une tasse décorée ou celle de la peinture avec quelques fragments de cruches, récipients associés à des coupes ou des pots, de tradition plus ancienne, munis de molettes aux registres parfois complexes, témoignent d’une certaine qualité du mobilier. Bien que les quelques récipients glaçurés ou peints mis au jour dans ce bâtiment restent de maigres indices de la qualité du mobilier en terre cuite, c’est surtout la précocité de leur apparition, ici dans le deuxième état du bâtiment, qui fait office de marqueur social. En effet, ces techniques qui se banaliseront dans les siècles suivants, restent exceptionnelles dans la première moitié du 8e siècle et semblent attester le niveau social élevé d’habitants dont on sait par ailleurs qu’ils occupent un grand bâtiment dont la qualité architecturale a déjà été soulignée. Comme pour le Bâtiment 3, la rareté des assemblages céramiques, de cette période, tout particulièrement urbains, rend la comparaison difficile.
La vaisselle de verre (JM) provenant de cette structure représente, en quantité, la majorité du verre en contexte au haut Moyen Age découvert sur le site. Le fait majeur est l'apparition de la vaisselle à fondant potassique, la matière première étant produite "localement" au sens large, ce qui permet de s'affranchir des importations de blocs de verre en provenance des régions de Méditerranée orientale (Pl.3E, Fig. 3). Les formes antérieures sont progressivement abandonnées et remplacées par des gobelets en entonnoir ou cylindriques à tronconiques avec la présence probable de coupes ou de bols, types dont certains perdurent jusqu'au 10e siècle au moins, et parfois jusqu'au passage au bas Moyen Age. Le verre, d'importation ou recyclé, à fondant sodique reste largement en usage. La majorité des pièces sont sans décor et cette vaisselle de qualité ordinaire représente 90 % des verreries isolées. Le verre doublé, caractérisé par un bourrelet et des teintes différentes pour les deux parties (la doublée et la non-doublée, visibles lorsque le verre n’est pas altéré), sont rares et représentent vraisemblablement le summum du luxe de cette époque (Motteau 1985 : 10-13)1.
1 Il est préférable techniquement de parler de verre doublé (plutôt que de lèvres à bandeau doublé), caractérisé par un bourrelet et des teintes différentes pour les deux parties, la doublée et la non-doublée, visibles lorsque le verre n’est pas altéré.
Mobilier et équipement domestiques (JM) Le verre à vitre, absent sur le site depuis l'abandon des thermes, est présent dans les différents dépotoirs (collecteurs et latrines) du deuxième état du bâtiment. Des plombs de sertissage accompagnent également les tessons à fondant sodique ou potassique. Tout ceci indique le rang élevé de cette construction (Motteau 1985 : 39-42 ; 2005). Les comparaisons avec quelques autres sites qui ont livré ce matériel (vaisselle et vitrage) incitent à y voir un établissement à niveau social marqué. Le petit mobilier présent dans les dépotoirs associés reflète un style de vie tranquille avec des accessoires de vêtement, quelques objets de toilette et de parure, des éléments de coffrets et de construction (Pl.3E, Fig. 4). L'occupation, avec prédominance des objets personnels et de l'équipement domestique, présente cependant une plus grande variété de groupes que dans les structures antérieures sur le site, mais rien ne permet de préciser le statut des occupants de cette structure au contraire de la céramique et la verrerie (RT5).
Que penser de ce bâtiment et de ces habitants ? Bien que le petit mobilier ne brille pas par son originalité, l’accroissement de l’éventail des types d’objets est un indice qu’il ne faut pas négliger. En revanche, l’apparition précoce de poteries glaçurées et peintes de qualité, ou encore la grande quantité des récipients en verre, dont certains sont réalisés suivant des techniques rares, sont autant de marqueurs sociaux éloquents, révélant très vraisemblablement la présence d’habitants d’un rang social élevé.
Le régime carné (FP) En comparaison de ce qui a été observé auparavant (Thermes Etat 2 et Bât. 3), le porc demeure certes l’espèce privilégiée (51%), mais le bœuf (22%) est désormais relégué en troisième position derrière les caprinés (27%) (Pl. 3E, Fig. 5). L’abondance des pièces osseuses riches en viande par rapport aux régions à faible valeur nutritionnelle témoigne une fois de plus d’une alimentation carnée de qualité (Pl. 3E, Fig. 6). Cette impression est confirmée par les âges d’abattage des porcs et des caprinés (Pl. 3E, Fig. 7). Ces viandes proviennent principalement de jeunes individus. Quelques différences apparaissent vis-à-vis des âges d’abattage observés auparavant (diminution de la consommation des porcs de moins d’un an au profit des sujets âgés d’un à deux ans et demi), mais ces changements ne préjugent pas de la qualité de la viande. La part de la basse-cour a considérablement baissé (7,2 %), mais le coq demeure la volaille de prédilection. Les huîtres, dont les effectifs ne cessent de baisser, et les poissons ne représentent plus que 3,5 % des restes déterminés. Quant à l’apport de la chasse dans le régime carné, il demeure minime (0,7 %). Comme précédemment, certaines contradictions apparaissent entre, d’une part, la consommation d’une viande de qualité et celle de produits importés (les huîtres) et, d’autre part, la faible importance du gibier dans l’alimentation carnée. Définir le niveau social des habitants par l’intermédiaire des reliefs de repas n’est pas chose aisée. Néanmoins, les variations observées entre les trois assemblages osseux semblent davantage s’inscrire dans une évolution lente des pratiques agro-pastorales (diminution de l’importance du bœuf au profit des caprinés) et cynégétiques (diversification des espèces).