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Thuillier Freddy

Les ateliers de potiers gallo-romains en Gaule du Nord. Thèse, Université de Tours.

Thèse soutenue le 19 décembre 2003
Direction : Alain Ferdière

Jury : Raymond Brulet (Professeur d’Archéologie à l’Université de Louvain-la-Neuve, Belgique), Roland Delmaire (Professeur d’Histoire Ancienne à l’Université de Lille), Armand Desbat (Directeur de recherches au CNRS, MOM, Lyon), A. Ferdière (Professeur d’Archéologie à l’Université de Tours),

Ma thèse de Doctorat intitulée comporte environ 3500 pages réparties en 14 volumes. Les trois premiers regroupent une présentation générale, la synthèse des informations et la bibliographie générale. Quant à l’ensemble des volumes 4 à 14, ils correspondent au corpus analytique des ateliers.

Les activités artisanales prises en compte dans le cadre de ce travail universitaire se rapportent à la fois à la production des poteries et à celle des terres cuites architecturales, ainsi qu’à des fabrications moins courantes (figurines et lampes à huile, en particulier). Il s’agit d’une recherche axée prioritairement sur les structures de production et sur la problématique des ateliers. Les structures étudiées comprennent tous les témoins de la chaîne opératoire en rapport avec la fabrication de la terre cuite. J’ai donc été amené à examiner les fours céramiques, vestiges emblématiques de cet artisanat, mais également l’ensemble des structures complémentaires, souvent délaissées jusqu’à récemment encore dans les rapports de fouilles et les publications.

Sur le plan de la chronologie, cette recherche embrasse toute la période gallo-romaine, de la conquête des Gaules à la fin de l’Empire romain. L’aire géographique de référence correspond à la partie occidentale de la Gaule du Nord. Par commodité, le découpage a cependant été effectué en fonction des frontières administratives actuelles. Les territoires pris en considération sont les suivants : la Belgique avec ses trois régions (Bruxelles-Capitale, la Flandre et la Wallonie), la France du Nord avec cinq régions (la Champagne-Ardenne, la Haute-Normandie, l’Ile-de-France, le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie) ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg. Jusqu’à présent, très peu de chercheurs s’étaient lancés dans une enquête de cette envergure. En effet, la quasi-totalité des inventaires ont pour limite géographique la région.

A l’occasion de cette étude sur les ateliers céramiques, j’ai délibérément axé une grande partie de ma réflexion sur les questions méthodologiques, à mes yeux jusqu’à ce jour trop souvent négligées. Ma recherche documentaire sur les ateliers a été régie par quelques principes de base : en premier lieu l’exhaustivité de la documentation, ce qui m’a conduit en définitive à proposer un corpus très volumineux, en deuxième lieu l’utilisation des sources publiées et d’autres, inédites (les rapports et les DFS), et en troisième lieu le recours aux documents de première main.

Le choix d’une collecte très poussée de l’ensemble des données archéologiques m’a permis, à terme, de constituer un corpus très complet, à la fois raisonné et analytique. Tout d’abord, l’enquête a été fondée sur une discrimination très stricte des ateliers à partir de critères de fiabilité rigoureux. Il m’a fallu réfléchir notamment sur la valeur des indices mentionnés. Les ateliers ont ainsi été répartis au sein de trois listes : la liste 1 regroupant les ateliers assurés, la liste 2 englobant les ateliers probables et la liste 3 rassemblant les ateliers douteux. En outre, une série de sites écartés a été insérée dans une quatrième liste. Il m’a également été nécessaire de mettre au point des critères d’individualisation des ateliers afin de ne pas multiplier de manière inconsidérée le nombre de sites de production. Une rapide comparaison avec d’autres inventaires tant régionaux que nationaux indique que les indices de sélection utilisés par les chercheurs sont beaucoup trop lâches, voire inexistants, ce qui a pour effet pervers de « gonfler » de façon inconsidérée le nombre d’ateliers découverts par région ou par ville. Par ailleurs, des notices-types ont été élaborées pour la circonstance, et adaptées aux niveaux d’exigence des différentes listes d’ateliers. Lorsque les informations le permettaient, les ateliers et les structures qui les composent ont été examinés dans le menu détail. Chaque site est donc traité sous la forme d’un « dossier » prenant en compte toutes les données disponibles au moment de la rédaction du corpus.

Dans le cadre de ce travail, je me suis également attaché à réviser le vocabulaire appliqué aux structures et aux ateliers. Il s’avère en effet indispensable que toute terminologie soit régulièrement actualisé suivant l’évolution des connaissances. Dans l’ensemble, celle des fours était restée inchangée depuis les travaux de P. Duhamel en 1973. Il m’a donc paru nécessaire, voire urgent, de « dépoussiérer » le vocabulaire en l’actualisant et en l’adaptant aux données nouvelles, afin d’éviter nombre de confusions fatales. En ce qui concerne les ateliers, le vocabulaire est également devenu inadapté, voire en partie obsolète, ce qui est aussi source d’erreur. On trouve en particulier le vocable « atelier » dans la littérature archéologique pour désigner aussi bien une unité de production (c’est-à-dire l’unité de base d’un atelier), un site de production de quelques fours, ou un autre de plusieurs dizaines, voire de plusieurs centaines. Je propose donc la mise en forme d’une terminologie adaptée à chaque cas de figure rencontré : par exemple, un « complexe de production » pour désigner un atelier important en milieu rural, et un « quartier de production » pour définir son équivalent en zone urbaine. J’ai également élaboré un vocabulaire approprié en fonction de la concentration plus ou moins élevée d’ateliers dans une aire géographique donnée.

Par ailleurs, j’ai bien entendu porté toute mon attention sur l’examen des structures de production, aussi bien les fours céramiques que les autres structures de la chaîne opératoire.

Pour ce qui est des structures de cuisson, au total 662 fours ont pu être recensés dans mon aire de référence. Ce nombre total est apparemment élevé, mais il s’agit en fait du nombre minimum de fours mis au jour. Les inventaires de fours céramiques sont très rares pour la Gaule romaine dans sa globalité ou pour un ensemble de régions. Celui que je propose ici pour une partie de la Gaule du Nord vient donc combler partiellement ce vide. En outre, il complète utilement et actualise le répertoire resté inédit de P. Duhamel, valable pour l’ensemble de la Gaule romaine.

Le dépouillement exhaustif de la documentation et l’abondance des informations sur les fours à l’intérieur d’une vaste aire géographique m’ont permis de mettre en chantier une nouvelle typologie des fours céramiques, englobant à la fois les fours de potier et ceux de tuilier. Précisons qu’elle est valable pour la totalité de la Gaule romaine, étant donné que mes dépouillements bibliographiques sur la question ont très largement débordé le cadre géographique initial de ma thèse pour s’étendre à l’ensemble des territoires ayant jadis formé la Gaule romaine, et même bien au-delà. Cette typologie se fonde sur les quatre critères essentiels suivants : le nombre de volumes, le genre de sole, la division de l’espace plus ou moins élaborée à l’intérieur de la chambre de chauffe, ainsi que le dispositif du support de sole. Les fours ont été classés en fonction de trois niveaux : la classe, le groupe et le type proprement dit. Cette nouvelle classification comprenant au total 79 types de fours a servi avant tout à classer tous les fours de mon aire d’étude. Elle a donc été éprouvée à grande échelle, et ne correspond pas à une simple « construction théorique ». En outre, elle se veut d’un usage pratique en vue de rendre éventuellement service aux futurs fouilleurs d’ateliers céramiques et de favoriser les études comparatives.

Dans le cadre de l’examen de ces structures de cuisson, j’ai effectué une étude statistique de leurs formes et de leurs tailles, ainsi qu’une analyse détaillée de chacune des parties d’un four céramique en tenant compte des nouveaux acquis de la recherche archéologique et des témoignages iconographiques de l’Antiquité. La richesse informative et la présence dans mon aire de référence de la plupart des types de fours recensés pour l’ensemble de la Gaule m’ont permis de proposer un bilan des connaissances au sujet des diverses classes de fours, en insistant plus particulièrement sur les fours de la classe 1, à savoir ceux en fosse simple et ceux à plate-forme, plus délaissés que les autres par les chercheurs. Parmi les autres sujets abordés, citons : le choix du combustible, la protection des fours contre les intempéries, le savoir-faire des artisans en matière de cuisson, etc.

D’ordinaire rarement étudiées dans le détail, voire simplement de manière superficielle, les structures complémentaires ont fait ici l’objet d’un examen exhaustif. Bien entendu, on dispose pour ces vestiges d’informations moins nombreuses et moins précises que pour les fours. Cependant, l’attention qui leur est portée par les fouilleurs depuis une dizaine d’années permet désormais de faire un point complet sur ces types de structures. Tour à tour chaque catégorie a été abordée en fonction de sa place respective au sein de la chaîne opératoire. Il apparaît qu’une catégorie de structures complémentaires, les fosses de tournage, est désormais mieux connue que les autres, à la suite de l’intérêt tout spécial que leur ont soudainement porté les archéologues de terrain. Ces structures sont maintenant assez aisément décelables et identifiables par les fouilleurs ; une classification préliminaire a même pu être formulée. Il faut espérer que dans un avenir proche l’accent puisse également être mis sur les autres vestiges, en particulier les fosses de préparation et les bâtiments d’exploitation.

En dernier lieu, je me suis tout particulièrement attaché à étudier les ateliers céramiques et à analyser leurs problématiques sur la base des données chiffrées de mon corpus.

Dans mon aire de référence, en tout 156 ateliers céramiques assurés ont été recensés. D’emblée, on peut avancer que ce nombre est relativement faible eu égard à l’activité artisanale de la terre cuite qui devait se développer dans cette partie de la Gaule romaine. Afin de faciliter les enquêtes ultérieures, j’ai également répertorié tous les sites de production potentiels et ceux qui sont douteux. Le décompte est le suivant : les ateliers probables sont au nombre de 73 et les douteux 317. Précisons que la grande majorité des ateliers probables ont vocation à intégrer la liste 1 des ateliers assurés. A partir des arguments de datation à ma disposition, une mise en perspective chronologique des ateliers assurés a été tentée. Il apparaît que la majorité a fonctionné aux IIe et IIIe s. de n.è., et une portion un peu moindre au cours du Ier s. de n.è. La période pré-augustéenne et les IVe et Ve siècles de n.è. sont pour leur part très mal représentés.

Dans les quelques cas où l’analyse spatiale des vestiges à l’intérieur d’un atelier peut être réalisée, on observe que la répartition des structures ne se fait pas au hasard. Bien au contraire, la documentation de fouille met en lumière l’existence de secteurs voués aux différentes opérations de la chaîne opératoire, ce qui trahit une répartition spatiale à l’intérieur des ateliers. En outre transparaît une véritable organisation rationnelle du travail. Par exemple, dans l’atelier de La Boissière-École (Yvelines), le combustible est stocké dans le secteur des fours. De même, les réserves d’argile préparée se situent à proximité des stations de tournage. Par ailleurs, les fouilles récentes semblent témoigner de la présence d’unités de production à l’intérieur des ateliers.

Dans la synthèse sur les ateliers, j’ai tenté de percevoir les véritables motivations des artisans de la terre cuite quant à l’implantation de leurs ateliers. Jusqu’à présent, les réflexions sur l’analyse spatiale des ateliers dans le territoire sont fondées le plus souvent, il est vrai, sur un argumentaire approximatif et généralement gratuit. Il est grand temps désormais de réfléchir sur ces problématiques à partir de statistiques fiables, et d’élargir le débat en prenant en compte d’autres déterminismes : notamment le rôle des frontières administratives des cités et la question du foncier.

Pour ma part, j’ai analysé la localisation des ateliers sur des bases saines en écartant toutes les informations hypothétiques. Il apparaît nettement que les activités potières participent d’un phénomène essentiellement urbain. La grande majorité des ateliers se situe en effet dans des agglomérations secondaires, beaucoup moins dans les capitales de cités. Néanmoins il existe également des ateliers en milieu rural. La presque totalité d’entre eux sont isolés, d’où leur appellation d’ « ateliers campagnards ». Soulignons que dans mon aire d’étude seul un atelier a pu être mis en rapport de manière certaine avec une villa. Il faut préciser que les ateliers isolés sont peut-être dépendants de domaines dans lesquels ils seraient insérés au point de vue foncier. Ce serait alors un isolement tout relatif ? Dans l’état actuel des recherches, il n’est pas possible d’aller plus en avant dans la réflexion. Le choix de la plupart des potiers de s’implanter en milieu urbain a dû vraisemblablement être motivé par la présence immédiate d’une clientèle potentielle. En zone rurale, la localisation par rapport aux matières premières n’apparaît pas comme un choix primordial. Les artisans ruraux ont manifestement préféré s’installer en bordure ou non loin de voies romaines, qu’elles soient principales ou secondaires, plutôt que près d’un cours d’eau. Il apparaît d’ailleurs clairement qu’il existe un lien entre le mode de diffusion d’un atelier et son implantation. Pour une diffusion locale, un potier se rapprochera volontiers au plus près de sa clientèle, notamment en périphérie d’une ville. En revanche, pour une diffusion à longue distance, il aura tendance à s’implanter en zone rurale.

L’examen attentif de la documentation indique qu’il existe manifestement un rapport entre la localisation des ateliers et les réglementations administratives. En effet, dans mon aire de référence on trouve fréquemment des sites de production installés soit en périphérie urbaine, soit en « orbite » à proximité immédiate d’une ville, soit encore à la limite des cités. On insistera ici tout particulièrement sur le rôle joué par les limites administratives des cités dans l’implantation des ateliers. Nombre de sites de production se situent en effet à proximité des frontières de cités. Quelques travaux très récents sur la Picardie et l’Ile-de-France avaient déjà montré le rôle d’obstacle joué par ces dernières dans la diffusion des produits.

Il serait très utile et opportun que ce travail de longue haleine, que j’ai mené pour ma part sur la portion occidentale de la Gaule du Nord, puisse être à plus ou moins brève échéance élargie à d’autres régions de la Gaule romaine (Gaule du Centre, Narbonnaise ?). Du reste, il serait souhaitable, en vue d’une homogénéisation de l’analyse et des résultats qui en découleront, qu’une telle entreprise prenne en compte des critères méthodologiques rigoureux et communs, calqués en particulier sur ceux exposés et mis en ?uvre dans le cadre de cette thèse de Doctorat (par exemple, des critères analogues de discrimination et d’individualisation des ateliers ?).