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Véron Teddy

Châteaux et territoires en Anjou (fin Xe - début XIIIe siècle) : organisation de l’espace par les élites castrales

Thèse débutée en 2019

Direction : Chantal Senséby (Maître de conférences HDR en Histoire du Moyen Âge, Université d’Orléans, EA4710 POLEN), Elisabeth Lorans (Professeur d’Archéologie médiévale, UMR7324 CITERES-LAT Université de Tours-CNRS)

Envisager l’Anjou comme cadre d’analyse des châteaux et de leurs occupants au Moyen Age central apparaît pertinent pour engager de nouvelles recherches. En effet, ce territoire a la chance de disposer d’un grand nombre de sources textuelles permettant d’observer dans certains cas les élites castrales de rangs différents (des seigneurs châtelains au rayonnement important à leurs simples chevaliers) et sur plusieurs générations. Dans le même temps, les études archéologiques en particulier celles menées ces dernières décennies par l’INRAP et le pôle archéologique du conseil départemental sur des sites castraux ont permis d’en approfondir la compréhension en donnant une idée plus précise, voire plus concrète, de leurs usages. Ces apports, associés à un travail de recensement de tous les ouvrages fortifiés (essentiellement des mottes et quelques tours rectangulaires) et de tous les sites d’habitat élitaire pouvant appartenir au Moyen Âge central, justifient de rouvrir le dossier des châteaux angevins.

1. Sources et méthodes envisagées

La méthode suivie consiste à dépouiller systématiquement les sources écrites entre la fin du Xe et le début du XIIIe siècle afin d’en extraire tous les termes pouvant désigner ce que l’on appelle communément « château », à savoir : castrum / castellum, mais aussi « motte », « plessis », « oppidum », « tour », « municipium », « manoir », « herbergement », « haye », « roche », « spelunca », « ferté », « arx » ainsi que toutes les mentions de fossés, « agger » et bien entendu les éléments qui décrivent les maisons fortes. L’analyse du vocabulaire devra tenir compte des natures différentes des sources écrites afin de s’approcher le plus possible du sens donné par leurs auteurs.

Bien que difficile à réaliser de manière exhaustive, l’examen des sources postérieures (principalement des aveux du XV e siècle) est souvent riche d’enseignements quand on y trouve des mentions de mottes ou qu’on y décrit le mode de garde des châteaux, surtout lorsque peuvent y être repérées les mêmes familles de vassaux qu’aux siècles précédents. Pour les sites ruraux, les destructions opérées lors des remembrements de la seconde moitié du XXe siècle sont souvent irréversibles allant jusqu’à faire totalement disparaître certains ouvrages fortifiés. Prétendre reconstituer de manière complète la géographie castrale du Moyen Âge central est une gageure, néanmoins, une partie de ces châteaux ont laissé des traces sur les plans cadastraux dits « napoléoniens » ou ont pu être observés et décrits par Célestin Port au XIXe siècle.

De la même manière, le site Géoportail.fr, qui permet de juxtaposer les photographies aériennes actuelles et celles des années 1950 avec les cartes de Cassini ou celles d’état-major, rend de nombreux services pour repérer ou décrire des mottes aujourd’hui disparues.

Souvent méprisée parce que mal employée, la toponymie se révèle tout de même utile pour identifier des restes de fortifications ou pour cartographier les habitats élitaires potentiels ou avérés. Son rôle est même déterminant lorsque l’on peut la faire coïncider avec des patronymes d’acteurs attestés dans les sources contemporaines des événements étudiés.

Enfin, les prospections sont essentielles afin de confronter les sources textuelles et planimétriques au terrain, ou tout simplement pour découvrir d’autres sites élitaires jamais mentionnés par ailleurs, mais dont la localisation peut être source d’informations.

Cette collecte documentaire prendra la forme d’une base de données afin de fournir des informations thématiques et quantitatives, base de données qui sera couplée à un Système d’Informations Géographique pour en permettre l’analyse spatiale.

2. Etat de la recherche

Les châteaux angevins intéressent les historiens depuis le XIX e siècle mais, à l’exception du remarquable travail de Louis Halphen publié en 1906, il faut attendre les années 1970 pour que la connaissance de ces sites castraux et de leurs détenteurs progresse de manière significative. Ainsi Olivier Guillot s’est penché sur les prérogatives des comtes d’Anjou du XIe siècle ce qui l’a conduit à fournir à la fois une première liste des forteresses et une analyse juridique des conditions de leur possession. A la même époque paraissait l’article fondateur de Michel de Boüard sur la motte de la Chapelle à Doué-la-Fontaine, fruit des fouilles archéologiques d’un site crucial pour comprendre la mise en place des châteaux aux Xe et XIe siècles. L’archéologie était désormais en mesure d’enrichir et même de renouveler la vision qu’avaient les historiens des forteresses et de l’habitat élitaire du Moyen-Âge central ce que l’on peut observer dans l’ouvrage désormais ancien mais toujours stimulant de Gabriel Fournier. Parmi les travaux portant sur l’Anjou, les plus convaincants en matière de recherche à la fois historique et archéologique sont sans conteste ceux d’Elisabeth Zadora-Rio. Cette dernière fournit même une des synthèses les plus abouties en matière de réflexion sur les sites castraux en terre, invitant à la plus grande prudence dans les conclusions tirées.

Par ailleurs, toute étude sur les châteaux et les élites castrales d’Anjou peut s’appuyer sur des travaux de grande qualité portant sur les espaces voisins : le Maine (Annie Renoux, Daniel Pichot et Bruno Lemesle), le Rennais (Jean-Claude Meuret et Michel Brandhonneur), le Poitou (Cédric Jeanneau) et la Touraine (Chantal Senséby et Elisabeth Lorans). La réflexion sur ce thème peut en outre se nourrir des recherches menées par André Debord puis Luc Bourgeois ou encore Dominique Barthélemy. Enfin, la question du rapport des élites à leur espace est en train d’être renouvelée par les travaux récents de Lucie Jeanneret, Adrien Bayard et Tristan Martine, parmi d’autres.

3. Des objectifs multiples

Il s’agit d’abord d’affiner la compréhension de ce qu’est un château au Moyen Âge central et de mettre en évidence la diversité des sites élitaires pour l’Anjou. Il convient pour cela d’établir des critères objectifs de hiérarchisation et de distinction, ce qui exige d’en énumérer les éléments constitutifs (les différents espaces bâtis ou non, les éléments symboliques) ainsi que d’en repérer les éléments architecturaux et la nature des matériaux. Il faudra aussi en établir une nouvelle cartographie plus détaillée pour l’Anjou.

Une autre ambition est de montrer en quoi l’érection des forteresses à partir du Xe siècle a modifié l’organisation du territoire angevin (changements de noms de lieux, érection de paroisses, installation de prieurés, remplacement des anciennes circonscriptions par de nouvelles...) et d’en comprendre les interactions avec les diverses formes d’habitats. A plus grande échelle également, l’examen minutieux de l’implantation des sites fortifiés est intéressant (proximité ou non de l’église, transfert de sites…). Sans verser dans le déterminisme, il faut aussi interroger la géologie dans le choix aérien ou souterrain du refuge et de tenter une typologie des différents sites.

Il est également nécessaire de référencer les différents usages des châteaux : expression symbolique d’un pouvoir, lieu de justice, de peuplement, de contrôle de l’espace et des flux à vocation économique (voies de communication…) et bien évidemment outil de défense. D’ailleurs, cet aspect militaire étant crucial, il est important d’essayer d’en montrer l’organisation et les enjeux. Ainsi, les châteaux du comte ont de multiples défenseurs auxquels ils convient d’accorder une attention toute particulière.

Prétendre approcher la réalité de ce qu’est un château au Moyen-Age central nécessite en effet de connaître la sociologie de leurs occupants et donc de réaliser une analyse prosopographique des détenteurs et des défenseurs de châteaux. Il faut donc poser la question de l’origine des élites. Cela passe aussi par la reconstitution systématique des lignages pour établir des tableaux généalogiques qui devraient permettre de jeter des coups de projecteurs dans la masse des patronymes conservés dans les sources textuelles concernant l’Anjou et ainsi d’accroître le nombre de repères chronologiques indispensables à toute analyse historique. La prolifération de généalogies plus ou moins sérieuses sur Internet rend nécessaire la diffusion d’études fondées sur des principes scientifiques (citation des sources, transparence quant à la méthode suivie, présentation des hypothèses…) pouvant être utilisées par les chercheurs. En outre, l’analyse scrupuleuse des lignages de châteaux permet de révéler un niveau de complexité supplémentaire à savoir que souvent plusieurs familles sont attachées à un seul château, même modeste, et que l’on trouve parfois plusieurs "châteaux" sur un même site, rappelant un système de co-seigneurie bien connu dans d’autres régions. Dans le même temps, la mise en évidence de réseaux élitaires à l’échelle de l’Anjou doit donner lieu à une analyse spatiale riche d’enseignements, des lignages contrôlant parfois plusieurs châteaux très éloignés.