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Guillermo Mélanie

L’identité territorialisée : acteurs, marqueurs territoriaux et représentations. Etude comparée de deux quartiers de la banlieue de Beyrouth, Chyah et Ghobeireh

Thèse commencée en 2007

Direction : Pierre Signoles

Notre recherche s’inscrit délibérément dans le paradigme de la géographie sociale ; elle s’intéresse donc aux rapports qui s’établissent entre les hommes en société (rapports sociaux) et les éléments qui constituent l’espace géographique (rapports spatiaux). Plus précisément, nous souhaitons interroger la manière dont les individus se représentent l’espace, lui donnent du sens et lui confèrent des valeurs par leurs pratiques quotidiennes et les modalités par lesquelles ils se l’approprient. Plus encore, nous nous interrogerons sur les processus par lesquels les individus inscrivent leur identité sur un territoire donné. Les concepts qui se trouvent donc au cœur de notre thèse seront ceux de territoire, de territorialité et d’identité.

I. Le choix des terrains

Le Liban nous est apparu, après une première expérience conduite en 2ème année de Master recherche, comme un terrain tout à fait approprié à la mobilisation et à la discussion de ces concepts. En effet, les clivages politiques et idéologiques qui se sont manifestés lors de la guerre civile (1975-1991) laissent supposer que l’espace est utilisé de manière différente et revêt des significations distinctes selon les appartenances communautaires ; il peut ainsi être considéré comme une source de la cristallisation des identités. Durant cette guerre et à sa suite, Beyrouth se caractérise par une répartition assez tranchée des différentes communautés constitutives de la société libanaise : à l’Ouest, des quartiers à majorité sunnite ; à l’Est, les Chrétiens ; au Sud, de vastes quartiers chi’ites. Cette répartition, qui n’est jamais absolue, n’en scinde pas moins la ville en trois ensembles, à propos desquels nous formulons l’hypothèse qu’ils servent de support et d’expression à des groupes sociaux , ethniques et religieux identifiés et différenciés. Cependant, comme le souligne M.F. Davie, cette homogénéisation confessionnelle existait déjà avant la guerre, laquelle a juste accentuée ce modèle : « Beyrouth est associée, (…) à une ville éclatée ; dont les deux plus importants fragments se nomment « Beyrouth-Est » et « Beyrouth-Ouest », l’une chrétienne, l’autre musulmane. Cette division remonte au-delà des quinze dernières années de guerre plus ou moins continues : la guerre a simplement consolidé une situation pré-existante (…) » . Il convient toutefois de noter que la guerre civile, par les déplacements multiples de population qu’elle a imposés, a accentué la concentration de groupes ethno-religieux cohérents au sein de territoires distincts. La banlieue beyrouthine a fonctionné durant cette période comme une véritable ville, dont les relations avec le centre urbain étaient réduites à peu de choses, dans la mesure où ces quartiers périphériques avaient leurs propres institutions qui organisaient la distribution des différents services dans un cadre d’actions régulées. Le quartier tend alors à devenir un territoire communautraire, sur lequel une organisation et sociale spécifique se met en place et le spécifie par rapport à un autre quartier. Avant la guerre, Aïn er Romanne était un quartier constitutif de la banlieue méridionale de Beyrouth dont la majorité de la population était chrétienne maronite. Il était un sous-ensemble de la municipalité de Chyah . Celle-ci [Celle-ci ou le quartier d’A. er R. ???] était composée de plusieurs ensembles de blocs d’immeubles situés de part et d’autre de la route de Saïda ; sa population était mixte : chi’ites et maronites y cohabitaient. Ce quartier [quartier ou municipalité ?] fut scindé en deux parties distinctes en 1956 suite à des dissensions entre les membres du conseil municipal :
-  Ghobeïreh à l’Ouest : elle réunit pour l’essentiel les populations chi’ites ;
-  Chyah-Est à l’Est, qui sera dénommée Aïn er Romanne en 1975 : c’est le secteur où se concentrent les populations maronites. Aïn er Romane se compose donc de territoires distincts.

En 1975, lorsque la guerre civile éclate, l’une de ses principales conséquences fut l’homogénéisation des quartiers beyrouthins de part et d’autre de la ligne de démarcation (laquelle suivait la route de Saïda). Les deux sous-ensembles que nous avons identifiés, Ghobeireh d’une part et Chyah-Est d’autre part, se situent de part et d’autre de cette route. La guerre opère donc un « tri communautaire » dont le résultat est le suivant à la fin de la guerre : 99.5 % des musulmans sont concentrés à l’Ouest (sunnites et chi’ites confondus) et 95.1 % des chrétiens le sont à l’Est . Malgré cette situation, nous éviterons de parler de quartiers mono-confessionnels, même s’il convient de noter que ces « cocons communautaires » ont favorisé des processus d’appropriation identitaire, laquelle repose sur l’affirmation, par chacune des communautés, de la légitimité de sa présence sur chacune des sous-parties de ce quartier. Ainsi, Ghobeireh et Chyah-Est deviennent des territoires appropriés par une communauté confessionnelle, dont les individus se reconnaissent par le lien spatial.

II. Les composantes géographiques de l’identité : les marqueurs territoriaux

L’inscription des identités dans l’espace peut se manifester par la présence de marqueurs territoriaux, lesquels participent à la territorialisation communautaire et politique. Au Liban, nous parlons de société multiconfessionnelle dans la mesure où le confessionnalisme est l’élément fondateur d’un système juridico-politique, lequel repose sur des groupes définis par la religion d’appartenance. De fait, l’identité au Liban se définit selon un substrat politico-religieux, et cela même si nous devons considérer que l’identité ne se définit pas uniquement à partir de l’affiliation confessionnelle. Étudier la territorialisation communautaire implique selon nous une pratique intensive du terrain, mais elle suppose surtout une approche réflexive portant sur l’identité de la communauté concernée et de ses différents constituants, ainsi que sur la signification des marqueurs territoriaux. De cela découlent deux éléments principaux qui fondent notre méthodologie :
-  Une sémiotisation communautaire diffuse de l’espace participant à l’élaboration d’une identité territorialisée (marqueurs territoriaux de type religieux et / ou politique orientés) ;
-  La capacité d’adaptation des structures organisationnelles dans un cadre d’actions régulé (associations, institutions, etc.).

Les marqueurs territoriaux participent à la territorialisation communautaire, laquelle traduit la volonté des différents acteurs d’organiser l’espace qu’ils se sont appropriés. Cette territorialisation est encore plus ou moins un état de fait aujourd’hui et elle est le fruit de l’équilibre des forces militaro-politiques consécutif à la guerre de 1975 qui a opposé les milices armées qui ont délimité des territoires (« Beyrouth-Est » et « Beyrouth-Ouest » ). L’étude de cette territorialisation est complexe. En tant que géographe, nous pouvons l’aborder sur plusieurs registres qui peuvent être investis par divers acteurs : nous proposons d’offrir un panel de marqueurs qui découlent de cette sémiotisation communautaire, laquelle est omniprésente dans les espaces concernés. Dans notre étude menée lors de notre deuxième année de Master sur Aïn er Romanne (quartier chrétien à majorité maronite), nous avons élaboré une typologie des indices « déposés » par différentes catégories d’acteurs :

ACTEURS Individus : Initiatives privées Groupes : Initiatives communes Institutions : Initiatives publiques Sémiotisation religieuse Mazar-s, affiches, Posters de saints, statuettes, graffitis. Mazar-s, affiches, processions, graffitis, Posters, croix. Édifices religieux, écoles religieuses, processions, toponymie, organisations communautaires, la question du foncier (wakfs) Sémiotisation politique Posters, banderoles des leaders politiques, graffitis. Posters, banderoles, graffitis, organisation de « soutien ». Toponymie, représentation d’hommes politiques par l’intermédiaire de statues ou tout autre marqueurs dans l’espace urbain, la question du foncier, etc.

Les deux terrains que nous avons sélectionnés permettent d’observer très clairement que la sémiotisation religieuse s’opère tantôt de manière « séparée », autonome, de la sémiotisation politique (c’est le cas à Aïn er Romanne) ; tantôt, par contre, les signes et symboles religieux et politiques se juxtaposent parfaitement ( c’est le cas à peu près général des quartiers chi’ites, et donc, plus particulièrement, celui de Ghobeïreh), dans la mesure où les partis dominants sont des mouvements politiques et religieux chi’ites : Amal et le Hezbollah. Dans le cas de Ghobeïreh, nous avons constaté une sémiotisation politico-religieuse très majoritairement inspirée par le Hezbollah, et ce indépendamment des signes religieux « classiques » (édifices religieux, medersas). La sémiotisation spatiale, par ses différents marqueurs, témoigne d’une appropriation identitaire, car elle est un ensemble de signes et de symboles constituant un indice fort de la présence d’une communauté, laquelle, par l’intermédiaire de ces marqueurs, est encouragée à élaborer des pratiques du territoire spécifiques. Ces marqueurs territoriaux entraînent donc des pratiques qui induisent à leur tour des constructions territoriales par les mobilités. Nous pensons par exemple au rôle joué par les processions annoncées par des affiches de Sainte-Thérèse, qui signalent la tournée des reliques de Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus, durant laquelle les dévôts chrétiens d’Aïn er Romanne défilent dans les rues du quartier chrétien. Ou encore, à ces marqueurs religieux qui, outre leur mission de proposer des lieux de communion et de communication avec Dieu, sont d’après nous des pôles de théâtralisation et de mise en scène de la confession : ainsi en est-il (ou pensons-nous qu’il en est) des croix en bois dont les bras sont recouverts de linges blancs et qui célébrent la résurrection du Christ au moment de la Pâque. Ces différents marqueurs territoriaux, outre leur objectif d’appropriation identitaire, sont le reflet d’un besoin d’affirmation identitaire. L’identité ainsi territorialisée devient donc un outil de légitimation de la présence d’un groupe : en effet les pratiques communautaires, par leur diffusion (processions par exemple), sont assimilables à une tentative d’inclure la totalité de l’espace public du quartier ; elles peuvent donc être analysées comme un phénomène global idéologique. La question qui peut se poser alors est la suivante : « Une identité est-elle géographiquement déterminée ? » Nous avons tenté de répondre à cette interrogation dans le mémoire que nous avons réalisé durant notre deuxième année de master [mettre en note, ici, la référence exacte …], mais cette réponse était très partielle. Le sujet reste donc à creuser. Il n’en reste pas moins que nous avons pu constater que les affirmations réitérées de quasi-homogénéité confessionnelle du quartier étaient de plus en plus contestables. Nous avons déjà observé une évolution sur la suprématie chrétienne de certains marqueurs [je ne comprends pas ce que tu veux dire ici : donc, je ne peux le relier à ce qui précède et pas plus à ce qui suit ! A reprendre !!!]. Nous pensons aux écoles chrétiennes qui accueillent de plus en plus d’élèves musulmans, à l’installation de Musulmans dans des quartiers chrétiens, etc. Il est donc légitime de se demander si c’est toujours le vecteur confessionnel qui engendre des dynamiques résidentielles orientées [que veux-tu dire là ???] ou si ce modèle est soumis à de nouveaux modèles socio-culturels.

III. Crispation de l’identité chrétienne versus dynamisme et « conquête spatiale » des populations musulmanes au travers de l’exemple de la banlieue sud de Beyrouth.

Quand bien même les processus en cours tendraient à réduire les homogénéités confessionnelles des différents quartiers de Beyrouth, il n’empêche qu’une interrogation sur la notion de ségrégation socio-spatiale appliquée à la capitale libanaise demeure pertinente. Outre le fait d’une territorialisation communautaire « visible » (marqueurs religieux et politiques), qui constitue une clef de lecture pour aborder la confessionnalisation d’un espace, ce type de territorialisation recouvre également une dimension sociale puisque le système éducatif, les institutions sociales, culturelles et médicales sont très souvent reliées à une confession particulière. De fait, l’évolution du degré de confessionnalisation d’un espace peut être apprécié par l’étude d’acteurs institutionnels. On pourrait s’intéresser, par exemple, au rôle des écoles religieuses chrétiennes (en tant que lieux de scolarisation, mais aussi de lieux de sociabilité) qui accueillent de plus en plus d’élèves musulmans, lesquels, de surcroît, habitent tant à Aïn er Romanne qu’à Ghobeireh. Aïn er Romanne semble localiser un nombre croissant de Chiites dont la plupart proviennent de Ghobeïreh, un quartier qui pratique, au contraire, une très forte « ségrégation-exclusion ». Ghobeïreh est un bidonville [c’est ou c’était ??? Je n’ai pas eu l’impression, quand on y est passé, qu’il s’agissait d’un bidonville de baraques, etc. …] limitrophe de Chiah et monoconfessionnel chi’ite. Ghobeïreh adhère au modèle de la ségrégation-exclusion dans la mesure où nous observons un processus de regroupement de populations qui vise à exclure l’Autre, l’Étranger, et qui aboutit donc à la formation d’un quartier de cloisonnement identitaire, voire de discrimination sociale. Pour habiter à Ghobeïreh, il faut une intégration totale à toutes les catégories d’acteurs [je ne comprends pas ce que tu veux dire par là !], c’est-à-dire de l’individu aux institutions. L’intégration par l’individu et le groupe se fait par affinités villageoises, à savoir que la très grande majorité des Chi’ites sont originaires des villages du Liban-Sud. Par ailleurs, leur participation à des réseaux de solidarité engendre une sorte de « validation » [comprends pas le terme !] au quartier chi’ite. L’intégration par les institutions se justifie par l’adhésion de la majorité des habitants au parti du Hezbollah, à contre-courant du système de vote libanais traditionnel (seuls les individus recensés en 1932 dans un territoire ont le droit de voter), en incluant tous les habitants du quartier, y compris les migrants. Ce schéma préserve le quartier des influences que voudraient exercer sur lui et ses habitants des acteurs appartenant à des confessions autres que l’islam chi’ite. En les empêchant de fait de s’installer à Ghobeïreh, le « cocon communautaire » est préservé. Le Hezbollah est au centre de la vie politique du quartier et se situe à contre-courant du schéma traditionnel d’un régime municipal dans la norme, en effet, le parti religieux est au centre du régime politique et non partenariat, alors que Chiah (et donc Aïn er Romanne) suit un schéma traditionnel nobiliaire, issu du régime ottoman qui avait un fort impact sur la vie locale. [Cà, c’est du charabia, il faut réécrire correctement. Et « nobiliaire » est une erreur grave, tu dois vouloir dire : « notabiliaire » !. Des notables locaux se hissaient en représentants informels de la population et donc du régime local. Une fois les Municipalités en place, ces représentants se retrouvèrent dans les conseils municipaux. Avec le développement des grands partis vers la fin des années 1960, s’opère un grand changement. En effet, les grands partis s’affirment et disposent d’une puissante capacité de mobilisation ; les structures traditionnelles doivent dès lors s’adapter. A Chyah, c’est le parti Kataeb qui gagne du terrain et se renforce quand la guerre éclate en 1975, car les milices se proclament « service d’ordre » dans le quartier. Néanmoins, la structure traditionnelle subsiste. L’actuel président de celle-ci, Edmond Gharios, est non seulement un enfant de Chyah, et son père, déjà, était un membre du conseil municipal élu en 1963. Edmond Gharios a, quant à lui, été élu en 1998, puis réélu en 2004, avec un régime mené en partenariat [la formulation est fumeuse ! à revoir … et le terme « régime » est ici une grave erreur] avec le parti des Forces Libanaises. La comparaison des deux quartiers pourrait ainsi s’opérer selon deux axes :
-  D’une part, entre un Ghobeïreh chi’ite et Chyah à majorité chrétienne, comment sont conduites les politiques municipales dans le cadre d’un mono-confessionnalisme et / ou d’une pluralité communautaire ? Comment sont gérées les politiques sous tutelle communautaire ? En somme, il s’agit d’étudier la juxtaposition entre deux organisations différentes tant duu point de vue politique que du point de vue communautaire ;
-  D’autre part, quelles sont les stratégies élaborées par les différents types d’acteurs pour la sauvegarde des identités dominantes dans chacun de ces territoires ? Existe-t-il des stratégies politiques (décourager les migrations ? encourager par différents modes les habitants du quartier à rester dans leur territoire d’appartenances communautaires ? etc.).

Conclusion

Nous avons précédemment vu que la territorialisation de l’identité, telle qu’elle se manifestait par la présence des marqueurs territoriaux (aussi bien politiques que religieux), pouvait être interprétée comme un signe d’affirmation communautaire répondant à une sorte d’impératif territorial : « Ce territoire est le mien ! ». Cette affirmation identitaire n’aurait pas pour simple fonction la légitimation, à travers la visibilité des marqueurs territoriaux, de témoigner de la présence d’une communauté confessionnelle et de signifier qu’elle constitue bien un membre à part entière de la société libanaise, mais elle serait avant tout un moyen de légitimer la présence de ce groupe sur un territoire et de protéger celui-ci. La présence de membres de communautés « autres » suscite des passions de la part de tous les acteurs. En effet, les individus tiennent des discours, se forgent des représentations en rapport avec cette « nouvelle » présence, alors que les politiques urbaines menées par la Municipalité, ou les actions conduites par des associations, sont perméables à ce nouveau phénomène. Nous pensons entre autres à la politique du logement adoptée par la municipalité de Chyah, laquelle, par divers moyens, essaye d’empêcher ses « enfants » de partir, de déménager, en leur proposant des logements à prix modérés, par exemple. Ou encore, nous pouvons parler de l’implication du Hezbollah dans la gestion urbaine menée par l’association « Al Mabarat » dans la construction de logements, d’hôpitaux, d’orphelinats, ou encore de mosquées. Notre recherche pourrait donc privilégier, au travers de la comparaison entre Chiah et Ghobeïreh, le mode de fonctionnement de leurs organisations et structures municipales respectives en relation avec la territorialisation politique et communautaire, ses acteurs et ses enjeux.