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Les modalités de production et de reproduction des elites en Afrique de l’ouest francophone.
Thèse commencée en 2005
En nous situant dans la perspective d’un projet de thèse, nous nous proposons d’étudier les modalités d’inscription territoriale des nouvelles élites du Burkina Faso (pays de l’Afrique de l’ouest) en prenant en compte les différents espaces mis en relation et les processus de production et de reproduction de ces diplômés dans une double perspective comparative et évolutive. Ce sujet nous est apparu pertinent lors de nos investigations en Master II recherche sur les mobilités universitaires, les flux migratoires étudiants entre l’Afrique de l’ouest et la France. Dans cette étude, il s’agissait de comprendre dans quelle mesure les représentations et les pratiques observées de ces étudiants dans la ville universitaire (Tours) structuraient leurs projets migratoires et professionnels. Nous avons trouvé des éléments de causalité dans une multiplicité d’éléments liés au contexte global de la mobilité universitaire mais aussi dans les pratiques et représentations au niveau micro social. Plusieurs déterminants peuvent être perçus à travers la temporalité (trajectoires passées, modes de vie présents, projets d’avenir) qui travaille la mobilité de ces étudiants. Ainsi, pour la plus part d’entre eux ils doivent travailler pour vivre pendant la durée de leurs cursus. Cette contrainte va souvent à l’encontre du projet de mobilité ou de reproduction sociale qui a motivé le départ du pays d’origine . Au terme de l’enquête en Master II, il ressort que ce groupe étudiant a changé dans un contexte social où la question de l’immigration revient sur le devant de la scène, l’occupe, et fait l’objet de discussion et de stratégies dans l’union européenne. Cette réflexion nous a été suggérée par la lecture de la thèse de Gueye Abdoulaye [1] sur les intellectuels ouest africains en France. Cet auteur analyse une phase particulière des flux étudiants dans un contexte historique particulière (l’acquisition des indépendances). En effet, ces intellectuels ouest africains étaient issus des couches sociales fortement intégrées aux rapports de dépendance et de clientélisme liés à l’Etat. Ils bénéficiaient de bourses, et d’une probabilité forte d’insertion professionnelle dans les pays d’origine. Dans ce contexte, les appareils d’Etats africains absorbaient l’essentiel des diplômés. Dans cette perspective le retour n’était pas problématique : c’était une migration transitoire, de passage. Cependant depuis une dizaine d’années, les universités africaines se trouvent confrontées à l’enseignement de masse. Le modèle antérieur évoqué par l’auteur (étude universitaire= possibilité de mobilité sociale) est intégré par de nouvelles couches sociales (petits commerçants, artisans, instituteurs, couches moyennes diplômées...). Ce qui n’est pas sans conséquences sur le mode de vie des étudiants en France : pas de bourses, nécessité de travailler pour payer leurs études. Le rapport aux études a changé et les difficultés d’insertion en cas d’échec deviennent de plus en plus probables. Dans le même temps, un certain nombre de transformations affectent les pays d’origine : par exemple l’irruption plus ou moins violente de grands changements socio-politiques -adoption des programmes d’ajustement structurel, mondialisation, " transition démocratique ". Les Etats africains limitent de plus en plus le nombre des fonctionnaires. Cette situation a conduit les étudiants à reconsidérer les possibilités réelles d’emploi dans les pays d’origine sans parler des possibilités offertes par les pays d’accueil après les études. La lutte pour l’insertion prend une nouvelle dimension : les diplômés de retour dans les pays d’origine se retrouvent face à un marché du travail dont nous supposons qu’il est de plus en plus verrouillé et dominé par des réseaux de dépendance et de clientélisme. Ce projet de thèse permettrait d’analyser ainsi les modalités d’insertion professionnelles de ces diplômés. Au Burkina Faso, nous nous proposons de retracer les trajectoires de recherche d’emploi et d’insertion professionnelle des diplômés du Nord (Europe, USA, ...) et des diplômés des universités africaines. Cette double perspective permettrait de voir à quelle condition les étudiants dont les familles ne sont pas insérées dans les réseaux de dépendance et de clientélisme liés à l’Etat peuvent espérer s’insérer ? Quelles sont les stratégies liées à l’échec et à la reconversion ? Ces investigations nous conduiront à évaluer l’évolution des besoins de main d’œuvre dans les pays d’origine. Nous serons amenés à confronter des approches théoriques sur des enjeux tels que la souveraineté nationale, l’aménagement du territoire, la reconfiguration de l’Etat-nation, en Afrique. Mais il s’agira aussi de saisir les nouvelles formes de territorialisation des pratiques concernant le développement social, politique, économique en Afrique et les modalités d’inscription territoriale des diplômés. En effet la pauvreté n’implique pas seulement une pénurie d’éléments nécessaires au bien être matériel, c’est aussi comme le souligne le PNUD " la négation des opportunités et des possibilités de choix les plus essentielles au développement humain ". C’est cette recherche d’opportunités pour bénéficier d’une existence plus digne et plus tolérable pour soi et pour les siens, ces stratégies de mobilité sociale, qui met en mouvement chaque année, des milliers d’étudiants africains vers la France. L’Afrique de l’ouest est particulièrement concernée par notre problématique puisque les migrations d’étude ont changé de forme et impliquent la gestion de nouvelles contraintes liées aux lieux et aux groupes d’appartenance. De ce fait nous analyserons de manière globale ce système de mobilité en prenant en compte les différents espaces mis en relation (espaces des études au Nord ou au Sud, espaces sociaux et familiaux d’appartenance, réseaux de dépendance, marché du travail) ainsi que le parcours lui même.
Comparant les modalités d’insertion professionnelle dans le pays d’origine des diplômés d’universités du nord et d’universités africaines, nous devrons confronter l’efficacité des deux grandes catégories de trajectoires : celles des "sédentaires" et celles des "mobiles". A priori ces derniers devraient avoir acquis des savoirs sociaux et relationnels qui leur donnent l’avantage. Notamment si l’on se réfère à la littérature concernant les mobiles transnationaux (voir notamment A. Tarrius, 2000, "Les nouveaux cosmopolitismes"), et plus précisément les "élites circulantes". La construction et la maîtrise d’un "territoire circulatoire" (Tarrius) permettrait ainsi l’acquisition de nouveaux savoirs-faire sociaux, dont le "savoir circuler", le branchement d’une multiplicité de réseaux, la construction de nouvelles identités permettant à la fois d’échapper aux pesanteurs sociales liées aux territoires d’origine et de les réinvestir éventuellement de façon favorable. Pour ce qui est des élites, une abondante littérature constitue le cosmopolitisme en atout pour la conquête de positions dominantes. De telles perspectives théoriques, bien mises à l’épreuve dans le cas des mobilités commerçantes (Tarrius, Péraldi) méritent toutefois d’être confrontées à de multiples terrains. Concernant les élites diplômées certaines études tendent à montrer que les avantages de la mobilité transnationale sont fortement différenciés selon la position des groupes dans les rapports de pouvoir professionnels (Tarrius "circulations internationales des élites professionnelles européennes" in Les nouveaux cosmopolitismes : 45-85 ; les travaux d’A. C. Wagner suggèrent les mêmes réflexions, 1999, Les nouvelles élites de la mondialisation").
On peut supposer, compte tenu de l’hétérogénéité des étudiants africains dans les pays du nord, que la maîtrise de nouveaux réseaux sociaux et la construction d’un "habitus" de la mobilité favorable au réinvestissement local ne concernent pas tous les diplômés.
Quant aux étudiants "sédentaires", tout aussi hétérogènes, il se peut que pour certains groupes (peut-être les moins pourvus au départ en capitaux sociaux et économiques), l’investissement dans le territoire d’origine des réseaux relationnels locaux, l’affirmation d’une forte identité locale, puisse représenter un atout au moment de l’insertion professionnelle.
Nous avons approfondissons actuellement ces réflexions sur notre terrain d’étude (le Burkina Faso). Ce qui implique une approche :
des dynamiques identitaires qui se développent pendant les études ;
des conceptions du territoire social d’appartenance ;
une analyse précise des contextes qui influent sur ces constructions, en abordant plusieurs échelles d’analyse (évolution des contextes sociaux et économiques des pays africains concernés, contextes liés aux politiques des pays du nord concernant les étudiants étrangers, modes de vie durant les études et stratégies sociales des étudiants "sédentaires" et "mobiles".