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Espace et société à Vendôme du 11e au début du 19e siècle : fonctionnement et fabrique d’une ville intermédiaire sur le temps long
L’étude du fonctionnent et de la fabrique de Vendôme du 11e au début du 19e s. propose une lecture différente des villes intermédiaires en montrant toute la complexité du phénomène urbain dans un type de ville très souvent catégorisé comme ville castrale. La ville résulte d’une multitude de temporalités et de spatialités où le temps des acteurs et de leurs projets n’est pas celui des structures. Considérée comme un tout, la ville est un impensé où chacun des acteurs joue sa partition dans ses propres intérêts, aucun n’ayant conscience de produire de l’urbain.
La première partie cherche à définir les cadres épistémologiques, documentaires et méthodologiques propres à ce travail. C’est ainsi une certaine conception de la ville qui est envisagée ici, celle d’une ville asynchrone où tous les éléments qui la constituent ne se transforment pas au même rythme. La définition de l’espace urbain et sa modélisation à partir des cinq grandes actions des sociétés sur leur espace (habiter, approprier, exploiter, circuler et gérer) ont été formalisées sous la forme de plusieurs objets historiques renvoyant aux différentes réalités. À partir de cette modélisation prenant en compte toutes les sources disponibles, les actions des différents acteurs sur l’espace urbain ont été analysées afin de mettre en évidence les fins poursuivies par ces derniers.
Ainsi plusieurs configurations socio-spatiales ont pu être reconnues et réunies en quatre grandes phases du fonctionnement urbain. La première, s’étendant sur le 10e et la première moitié du 11e s., correspond aux ferments de l’espace urbain qui ont vu l’agglomération passer d’une multipolarité des zones d’habitat à une centralité unique autour du bourg de Vendôme certainement fondé par la famille des Bouchardises au 10e s. Placée au centre des conflits entre le comte de Blois et le comte d’Anjou au 11e s., la ville voit se succéder plusieurs comtes dont Geoffroy Martel qui donna à l’agglomération une vitalité importante en fondant la collégiale Saint-Georges et l’abbaye de la Trinité.
La deuxième phase commence par l’action de la papauté qui fait de Vendôme l’un des fers de lance de la Réforme prégrégorienne en attribuant à la Trinité l’exemption, la première du Val de Loire. Cette exemption n’est pas du goût des nouveaux comtes qui succèdent à Geoffroy et voient une partie de leur pouvoir leur échapper dans leur propre ville. Après plusieurs phases de conflits, la Trinité et le comte, sous l’action du comte d’Anjou Henri II finissent par poser les droits de chacune des parties, même si des conflits entre les deux camps continuèrent à s’échelonner régulièrement jusqu’au 16e s. au moins. Le comte, qui affirme ainsi son pouvoir face à la Trinité, voit également son autorité renforcée face à ses vassaux dont la plupart quittent le périmètre castral pour vivre à la campagne.
La troisième période du développement qui s’étend entre 1300 et 1510 se caractérise par une augmentation du nombre de sources disponibles. Certains acteurs restés jusqu’ici dans l’ombre sont révélés, les notables urbains, mais aussi les « gens de métiers » dont les actions sur l’espace urbain qui n’avaient été jusqu’ici qu’envisagées deviennent concrètes. C’est ainsi toute la structuration de la ville qui apparaît, avec ses fonctions banales, qui viennent enrichir les plans de topographie historique : les maisons, les tanneries, les boutiques, présumées depuis le 11e s., font leur apparition. C’est également le temps du départ des chevaliers du périmètre castral ; si la noblesse reste encore présente en ville, il ne s’agit que de ses strates inférieures, le vrai noble vit sur ses terres à la campagne. Ce phénomène de ruralisation des élites nobles s’accompagne d’un renforcement du pouvoir comtal en ville fondé sur le recours de plus en plus important aux officiers, qui durant la fin du 14e s. et le début du 15e s. changent de modèle. La vie à la campagne n’est plus une fin en soi, la vie urbaine est privilégiée, même si la résidence à la campagne reste un élément déterminant de la notabilité comme la possession d’une seigneurie dans les espaces suburbains. L‘"état du monde" intervient également fortement durant cette phase, les épidémies de peste et les conflits de la guerre de Cent Ans transforment l’espace urbain. Si nous avons vu que les dégâts consécutifs à la prise de la ville en 1361 n’étaient pas si importants, ceux liés à la peste restent encore mal connus. Quoi qu’il en soit, ces deux événements poussèrent les Vendômois à renforcer les défenses et à résider à l’intérieur de l’enceinte devenue signe de protection et symbole de la ville ; un symbole que demande à acquérir la communauté d’habitants à la fin du 15e s. dirigée par les notables qui se sont enrichis grâce à la reprise économique de la seconde moitié du 15e s.
Si le poids de l’"état du monde" fut important lors de la troisième phase, la dernière se caractérise par son omniprésence dans les domaines politique, économique, culturel... Traversée par les grands courants de pensée des 16e au 18e s. , protestantisme, réforme catholique, jansénisme, hygiénisme, Révolution mais aussi par un poids de plus en plus important de l’État et du commerce à longue distance, la société urbaine et son espace se transforment sous l’effet de ces phénomènes qui ne se jouent pas à l’échelle vendômoise, mais qui ont néanmoins eu des répercussions sur l’espace urbain par la construction d’enceintes, le déplacement des cours d’eau, l’installation de nouvelles communautés religieuses…Cette dernière phase a aussi permis de prendre en compte le poids d’acteurs restés jusqu’ici en retrait tels que les gens de métiers (tanneurs, gantiers ou hôteliers) ou les pauvres. En effet, cette période est aussi celle de l’apogée et du déclin économique de la ville qui passe de la mono-activité gantière (l’un des deux plus grands centres de production gantière du royaume) à la quasi disparition de cette activité à la fin du 18e s., entraînant une forte hausse du nombre de pauvres.
Dans la troisième partie de ce travail, d’autres temporalités que celles des acteurs ont été analysées, celle des fonctions urbaines et celle des formes pour en expliquer la fabrique. L’analyse des fonctions urbaines dans le temps long a mis en évidence deux faits majeurs : d’une part, l’importance de l’effet de sources dans la définition des temps de la ville ; d’autre part, une relative stabilité fonctionnelle alors que les changements d’objets sont incessants. L’analyse de la forme urbaine a révélé le poids de trois facteurs déterminants dans cette constitution, celui du site, celui de la situation et celui de l’héritage. Le rôle de l’eau et de la configuration du site lors de la dernière glaciation fut primordial dans la structuration de « corridors fluviaires ». Les flux de déplacement furent également des facteurs importants pour expliquer la densité parcellaire. Enfin, l’héritage de la ville du 10e s. organisée en deux pôles, un pôle aristocratique et un pôle économique, a perduré jusqu’au 19e s.