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Le riverain introuvable ! La gestion du risque d’inondation au défi d’une mise en perspective diachronique Une analyse menée à partir de l’exemple la Loire
Notre travail porte sur le rôle et la place donnés aux populations riveraines par les « gestionnaires du risque » dans le cadre des politiques de gestion du risque d’inondation. L’action publique dans ce domaine a connu de profonds bouleversements ces dernières années et tente de plus en plus des approches systémiques dans le cadre desquelles l’action publique ne se cantonne plus à la seule gestion du cours d’eau mais aussi à la mise en œuvre de mesures de prévention et d’adaptation des activités présentes dans les zones inondables. Or, dans un contexte où la grammaire de l’action publique est profondément revisitée et où l’implication de la société civile apparaît de plus en plus comme un « point de passage obligé », une implication accrue des populations riveraines devrait s’imposer et devenir une évidence. L’observation empirique ne nous permet cependant pas de valider cette assertioin. Malgré les innovations procédurales, malgré des politiques de gestion du risque qui se veulent « intégrées » et qui mettent l’accent sur la vulnérabilité des territoires, malgré une volonté de responsabilisation accrue des populations riveraines, les gestionnaires du risque ne leur laissent qu’une place et un rôle limités dans la construction et la formulation de l’action publique face aux inondations, et ce de façon assez claire et affirmée. Le poids des héritages (tels que les ouvrages de protection déjà existants), la cristallisation de l’attention et des débats autour des enjeux techniques et surtout les responsabilités des maîtres d’ouvrage constituent, pour nous, des facteurs explicatifs importants. C’est à partir de l’étude de plusieurs projets récents de gestion du risque d’inondation menés sur la Loire moyenne que nous tentons de le montrer. Nous proposons une mise en contraste de ces projets en cours avec ceux engagés près de cent cinquante ans plus tôt sur le même bassin, à la suite des inondations de 1856 et 1866. La confrontation entre ces deux moments de l’histoire de la lutte contre les inondations sur la Loire est d’autant plus riche que sous le Second Empire, les ingénieurs des Ponts et Chaussées en charge de la gestion du fleuve avaient déjà formulé la nécessité de « faire la part de l’eau » et avaient alors proposé la mise en place de « déversoirs modernes » sur les levées. Il ne s’agit pas pour nous de mener une comparaison mais plutôt de « déréifier » les pratiques actuelles et de faire usage d’un « anachronisme contrôlé » [OFFERLE, 1998] pour mieux les comprendre. Nous construisons une double dialectique, où les études de cas observées dans le passé questionnent les pratiques contemporaines tandis que nos questionnements - propres au contexte actuel - nous amènent à considérer des aspects qui sont parfois peu travaillés aux périodes antérieures. Ainsi, nous verrons d’abord que derrière un vocable qui peut paraître au premier abord relativement similaire (et qui est mobilisé parfois comme tel par les gestionnaires du risque), les stratégies de lutte contre les inondations ont profondément évolué entre ces deux moments. En 1867, les « déversoirs modernes », pièce maîtresse d’un programme de travaux proposé par les ingénieurs des Ponts et Chaussées, avaient été pensés dans une logique hydraulique cohérente à l’échelle du fleuve et complémentaire des endiguements qui le corsetaient déjà : ils devaient améliorer la protection des villes en permettant un écrêtement des eaux dans les campagnes, tout en limitant les dommages dans ces derniers. Depuis le début des années 2000, les « déversoirs de sécurité » proposés sur la Loire sont quant à eux présentés comme des ouvrages locaux de sécurisation des levées ; surtout, ils sont pensés en complémentarité de stratégies mettant la priorité sur l’adaptation des territoires et la réduction de la vulnérabilité des zones inondables. Nous montrerons ensuite que même si l’implication des populations riveraines devrait être un préalable des politiques actuelles de gestion du risque d’inondation, celles-ci ne leur pensent pas encore véritablement de place. Des démarches ad hoc de « concertation » ou dites « participatives » sont certes mises en œuvre mais leurs capacités de « forçage » [MERMET et al., 2004] restent limitées. Il apparaît que devant l’ampleur des responsabilités des maîtres d’ouvrage, leur ambition est avant tout de « faire comprendre » et de « faire passer » leurs projets plutôt que de tenter une co-construction. Cette lecture est renforcée lorsqu’on confronte les dispositifs actuels avec ceux mis en œuvre près de cent cinquante ans plus tôt. En 1867-68, c’est dans le cadre d’enquêtes d’utilité publique menées pour chacun de ces ouvrages que l’expression riveraine a pu être formulée et s’y est parfois fortement opposée. Nous verrons qu’à l’époque, l’administration d’Etat a suivi les avis formulés lors des enquêtes et renoncé à une partie de ces déversoirs, surtout lorsqu’elle considérait qu’ils ne répondaient pas à « l’intérêt public ». Elle opte alors pour un statu quo, abandonnant les déversoirs mais refusant également tout renforcement de digue. Parce que l’administration d’Etat ne se trouvait pas dans une telle situation de responsabilité (les enjeux étaient également moindres dans les plaines inondables), elle a pu laisser place à l’expression des riverains, voire elle a pu se permettre d’abandonner certains projets suite aux oppositions locales, dans une logique libérale de responsabilisation des particuliers.
Membres du jury : Loïc BLONDIAUX, Professeur des universités, Université de la Sorbonne – Paris 1 Jean-Paul BRAVARD, Professeur des universités, Université Lumière – Lyon 2 Gilles HUBERT, Professeur des universités, Université Paris-Est Marne-la-Vallée Richard LAGANIER, Professeur des universités, Université Paris Diderot – Paris 7 Corinne LARRUE, Professeure des universités, Université François-Rabelais, Tours