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Pratiques spatiales, représentations de la ville et fabrique urbaine de Tours du IXe au XIIIe siècle : chanoines, moines et laïcs à Saint-Martin et Saint-Julien. Thèse, Université de Tours.
L’étude vise à rendre compte du processus d’urbanisation de Tours, durant le Moyen Age, dans les quartiers de Saint-Martin et Saint-Julien. A partir du constat selon lequel la ville est un impensé, il nous a paru méthodologiquement indispensable de distinguer d’une part les activités sociales, en tenant compte des finalités et motivations des acteurs, et d’autre part la fabrique urbaine, c’est-à-dire l’interaction de cette activité sociale et de la structure matérielle de la ville, caractérisée par le réseau viaire et le système parcellaire.
Dans un premier temps, nous avons cherché à comprendre les pratiques et les représentations des acteurs concernés par ces espaces. Selon les ressources offertes par la documentation textuelle, principalement diplomatique - dont une critique serrée a été établie au préalable - et archéologique, nous avons mis en valeur plusieurs projets, qui peuvent être de nature économique, comme la question de l’approvisionnement du chapitre de Saint-Martin, politique, comme la construction du castrum sancti Martini au début du Xe siècle, ou encore religieux, comme le montre le projet de la Martinopolis au tournant des XIe et XIIe siècles. Chez les moines de Saint-Julien, le rejet des bourgeois à distance de leur enclos entre 940 et 1080, ainsi que la fermeture d’une rue en 1114, à cause de l’incompatibilité du siècle et de la règle monastique, ont été décrits et spatialisés grâce au croisement de la documentation écrite et planimétrique. A partir du XIIe siècle, le nouvel acteur qui émerge dans la pratique sociale concerne les bourgeois de Chateauneuf, qui s’émancipent par étapes de la tutelle canoniale : surtout, ils prennent le relais des chanoines pour ce qui est du fonctionnement du pèlerinage. L’accueil des pèlerins, traditionnellement assumé par le chapitre Saint-Martin, est désormais pris en charge par les bourgeois de Chateauneuf, qui détiennent les auberges, tavernes, hôtels, et autres comptoirs indispensables à la présence de ces nombreux visiteurs. Concernant l’analyse des représentations spatiales des discours diplomatiques, des procédures statistiques ont permis de révéler des inflexions de langage propres à chaque acteur et à chaque période.
Dans un deuxième temps, nous avons pu établir à partir de l’analyse morphologique du cadastre napoléonien, que la fabrique urbaine de Tours comportait trois modèles différents d’organisation parcellaire. L’espace intermédiaire de Saint-Julien dispose d’un parcellaire, marqué par deux axes principaux orientés parallèlement à la Loire, et surtout très hétérogène : à la densité du front de rue s’oppose le clairsemé de l’intérieur de l’îlot. Il s’agit donc un parcellaire de type rural colonisé par une urbanisation en front de rue. Le parcellaire du cloître de Saint-Martin est relativement lâche, régulier et homogène : il correspond à une zone résidentielle aristocratique. A l’inverse des deux précédents, Châteauneuf est caractérisé par un parcellaire à la fois très dense et très divers, ainsi que par un système viaire vers la Loire, qui ne se trouve nulle part ailleurs dans la ville. Bien que les chanoines de Saint-Martin n’aient à aucun moment cherché à créer une ville, ils ont, par leur fonctionnement canonial, créé les conditions favorables à une structuration urbaine de leur espace. A cette configuration initiale, héritée de la période carolingienne, a succédé une série de situations, qui, bien que mettant en jeu des acteurs et des finalités différentes, tendaient toutes à y réactiver le processus d’urbanisation : celui-ci se traduisait donc par une densification et une diversification croissantes du parcellaire, alors que d’autres configurations socio-spatiales ont au contraire freiné le développement à proprement parler urbain des secteurs de Saint-Julien et du cloître de Saint-Martin. Dans tous les cas, c’est bien l’interaction permanente de la fabrique urbaine et de ces multiples fonctionnements sociaux, historiquement situés, qui a abouti à un tel paysage urbain.
Un des éléments moteurs de la relation dialectique entretenue par les sociétés avec les espaces urbains semble résider dans le choix de la règle de vie, canoniale ou monastique : les deux types idéaux des chanoines et des moines, que nous avons proposés à partir de la méthode idéal-typique définie par M. Weber, constituent en effet des facteurs explicatifs de la structuration de la fabrique urbaine. Ils permettent ainsi de rendre compte du processus d’urbanisation et d’expliquer pourquoi certaines villes ou certains quartiers sont plus urbanisés que d’autres.
La production du milieu urbain est également conditionnée par les réalités hydrographiques. L’étude de la boire de Saint-Venant s’est révélée très riche puisqu’elle permet un réel croisement des histoires textuelle, archéologique, morphologique et paléo-environnementale du même objet : elle montre le rôle essentiel de la Loire et de son fonctionnement morphodynamique dans la structuration de la fabrique urbaine. Ainsi, au sud de l’actuel lit mineur du fleuve, les anciennes tresses de la Loire, qui datent de l’époque glaciaire, sont devenues des paléochenaux qui ont été utilisés comme chenaux d’inondation aux époques historiques : elles forment des « boires » qui peuvent devenir ensuite des rues de la ville de Tours. Le plan cadastral enregistre donc aussi les interactions des sociétés avec le système fluvial. La boire de Saint-Venant semble ainsi avoir déterminé la forme des rues de la Préfecture, Gambetta, Clocheville, Rabelais et J. Charpentier,. En outre, nous avons proposé la localisation d’un paléochenal au nord du castrum de Saint-Martin, qui pourrait avoir été réutilisé pour recreuser les fossés de ce castrum. Un canal d’alimentation en eau depuis la Loire jusque vers ces fossés de l’enceinte a peut-être été aménagé : puis, celui-ci a été transformé à partir du XIIe siècle en égout vers la Loire, devenant ainsi la rue de Maufumier, aujourd’hui rue Constantine. Si ces propositions restent largement à démontrer, elles n’en constituent pas moins des hypothèses de travail à tester, par exemple lors de prochaines fouilles archéologiques. C’est pour mettre en valeur cette évolution de la forme que nous avons défini l’objet hybride du « corridor fluviaire » : celui-ci met en valeur le processus dynamique de transmission de la forme, qui tient compte à la fois du du fonctionnement du milieu et des activités sociales.
Voir en ligne : Version publiée de la thèse