CITERES


Partenaires

Logo CNRS
Logo Université François Rabelais



logo MSH Val de Loire
logo INRAP

Accueil du site > Actualités > Journées d’étude CoST : « Conflits de proximité et rapport(s) au(x) droit(s) »


Journée d’étude

Journées d’étude CoST : « Conflits de proximité et rapport(s) au(x) droit(s) »

Du 11 avril 2013 au 12 avril 2013

Université de Tours, Salle du conseil de l’UFR de droit et sciences sociales
11-12 avril 2013

Journées organisées avec le concours du Studium

Organisation et responsabilité scientifique : Patrice Melé UMR CITERES, CNRS-Université de Tours, patrice.mele@univ-tours.fr Vicente Ugalde, CEDUA, El Colegio de Mexico, vugalde@colmex.mx

Contacts  : Lydia Seabra, secrétariat UMR CITERES / CoST, lydia.seabra@univ-tours.fr

Présentation et objectifs (English version)

Plusieurs recherches [1]. récentes pilotées depuis l’équipe « Construction politique et sociale des territoires » de l’UMR CITERES ont porté sur les effets de situations dans lesquelles des collectifs composés d’habitants, de militants, de représentants politiques locaux se mobilisent pour contrôler le devenir de certains espaces, pour s’opposer à des projets ou pour demander la protection de sous ensembles spatiaux. Nous avons pu analyser ces situations à partir de leurs productivités sociale, politique, territoriale et juridique [2] .

L’objectif de ces journées est de confronter les résultats de ces recherches avec d’autres travaux interrogeant la place du droit dans les conflits de proximité. Il s’agit, en effet, pour nous de mettre en discussion certaines hypothèses d’interprétation de la productivité juridique des situations de conflits.

Le droit joue un rôle important dans les conflits, non seulement comme ressource mais aussi comme cadre cognitif. Certes, il ouvre un canal pour la judiciarisation des différends ; une grande partie des conflits peuvent avoir une dimension de contentieux. Mais même en dehors de toute plainte ou recours, le droit contribue à construire des attentes, à déterminer des positions et constitue une ressource argumentative. Pour les habitants mobilisés, le droit existe d’abord comme texte dont ils attendent un effet dans leur confrontation avec les représentants des pouvoirs publics. Les habitants mobilisés présentent souvent leur action comme une demande d’effectivité des normes juridiques et aspirent à une activation / adaptation locale de l’ordre juridique. Dans certains contextes, ils tentent de lutter pour la reconnaissance de nouveaux droits ou pour une juridicisation plus fine du contrôle du fonctionnement des activités ou des projets mis en cause.

Par ailleurs, des instances négociant l’application des règles et intégrant la vigilance des habitants mobilisés se multiplient. Chartes et contrats semblent instaurer la possibilité d’une production juridique locale. Dans le cadre des conflits de proximité, les habitants font l’expérience que le droit ne s’applique pas seul, qu’il est nécessaire de le faire exister localement, travail pris en charge par certains acteurs. Pour acquérir un rôle dans une situation, le cadre juridique doit faire l’objet d’un travail de localisation, de construction sociale de sa validité locale, d’actualisation locale au sein de processus de régulation sociale.

En première analyse, pour saisir la productivité juridique des situations de conflits, nous proposons de distinguer les effets de cadrage et distributifs de la judiciarisation, des effets symboliques et cognitifs du droit, de questionner la place du droit dans le cadre des dispositifs de participation, et d’interroger le rôle de la généralisation des situations de conflit dans les processus de juridicisation de la société.

Les effets de la judiciarisation

Considérons d’abord qu’un conflit se transforme lorsqu’un différend est judiciarisé. En première analyse nous pouvons identifier plusieurs effets liés à cette saisie par le droit des situations de conflits.

On peut d’abord évoquer des effets de cadrage, des processus d’apprentissage du langage du droit mais aussi d’élaboration collective d’une situation juridique, par l’intermédiaire d’interactions avec des professionnels du droit qui statuent sur les arguments qu’il est possible de traduire en stratégies juridiques. On peut ensuite évoquer les effets à caractère distributif que certains faits juridiques peuvent avoir sur le développement des conflits. Les décisions adoptées par les juges et d’autres actes strictement juridiques peuvent avoir des effets directs sur un conflit. Les opérateurs du droit peuvent prendre des décisions qui tranchent de manière claire et irréversible les conflits de proximité ou qui conditionnent fortement leur déroulement. Il s’agit là d’actes juridiques qui peuvent être considérés comme distributifs, au sens ou ils orientent le conflit à partir de ce qu’ils donnent ou enlèvent aux différents acteurs.

Or, les travaux empiriques sur des situations de conflits dans différents contextes nationaux semblent montrer que si cette possibilité existe, elle ne constitue pas l’expérience du droit la plus généralisée. Il existe de nombreux conflits de proximité qui ne sont pas résolus grâce à l’activation d’un mécanisme juridique qui préexisterait. De plus, victoire ou défaite juridique ne constituent qu’un moment dans des situations d’oppositions et de controverses qui perdurent au-delà des tentatives de règlement juridique. Dans certains contextes, une décision juridique peut avoir pour effet d’intensifier un conflit. Pour activer localement les opportunités offertes par le cadre juridique, les groupes mobilisés nécessitent des capacités d’action et des compétences qui sont inégalement réparties.

On peut par ailleurs postuler que l’expérience de la judiciarisation des situations des conflits est marquée par une double indétermination, caractérisant à la fois le fait qu’il n’est ni possible de savoir ce que sera le résultat d’une décision juridique, ni ce que sera son effet.

Comment les formes d’indétermination liées à la judiciarisation marquent-elles de façons différenciées certains types de droit ou certains contextes nationaux ?

Quel est le rôle de la confiance dans la possibilité d’activer un canal juridique pour faire valoir ses droits ?

Les effets symboliques et cognitifs du droit

Des références au droit peuvent être intégrées dans le discours des acteurs, de façon indépendante de ce qui peut se passer dans le champ juridique. En d’autres termes, il s’agit de reconnaître que l’existence du droit dans les situations de conflits prend la forme de la circulation de catégories juridiques dans différents espaces au sein desquels se produisent les interactions sociales. Une part importante de la productivité des conflits réside précisément dans le fait que dans les interactions sociales de nouvelles catégories juridiques sont incorporées ou alors certaines catégories sont actualisées. Les catégories juridiques possèdent une force symbolique car elles constituent une définition officielle des choses qui « institue » la réalité. Même si le droit peut parfois apparaître comme quelque chose d’externe d’accès impossible sans un long apprentissage, dans le cadre d’un conflit, mobilisé par des acteurs, il acquiert une signification sociale ; il devient alors quelque chose de présent et d’utilisé.

On a pu montrer, que dans les conflits de proximité, la confrontation des populations à différentes formes de qualifications juridiques de l’espace peut avoir un effet important sur la production et la (ré)interprétation des ancrages spatiaux. En effet, la présence dans un grand nombre de contextes d’espaces protégés pour leurs qualités environnementales et patrimoniales peut constituer une ressource pour les habitants mobilisés. Dans leurs recherches d’éléments permettant d’identifier les qualités des espaces qu’ils tentent de défendre, les groupes mobilisés rencontrent ces formes de territorialisation des valeurs patrimoniales et environnementales.

Comment peut-on identifier dans des processus de recherche les effets cognitifs des expériences de contact avec le droit ?

Quels sont les effets sur les relations à l’espace des populations des processus de territorialisation liés à la confrontation avec les qualifications juridiques de l’espace ?

Conflits, droit et processus de participation

La multiplication des dispositifs d’information, de concertation ou de participation, souvent pensés comme des procédures de reconstruction de l’assentiment alternatifs au contentieux, constituent pour les groupes mobilisés des scènes d’expression des différends. Se donnent alors à voir au sein même des dispositifs de participation différentes formes de présence et de mobilisation du droit. Il existe un cadre juridique de la participation qui peut être confronté aux modalités concrètes d’échanges. Par ailleurs, la possibilité d’un recours juridique peut être activée par les mêmes acteurs qui demandent à être pris en compte dans les échanges délibératifs. Les représentants des pouvoirs publics expriment souvent leur incompréhension face à ces stratégies. Dans d’autres cas, des résolutions juridiques peuvent permettre ou rendre obsolète des tentatives de négociation ou de concertation. Ces scènes permettent aussi d’observer en situations différentes modalités du rapport au droit et des effets de sa mobilisation.

Alors que l’on oppose souvent les moments de la lutte juridique et ceux de la négociation et de délibération, quelle présence du droit au sein des espaces de participation ?

Conflits de proximité et juridicisation de la société

Il existe un autre type de processus juridique qui transcende le conflit mais qui surgit du conflit, et qui en principe, peut affecter des conflits futurs. Il s’agit des changements dans la législation ou dans les modalités de sa mise en œuvre. Nous évoquons ici le lien entre conflit et juridicisation.

Pour que le droit soit mobilisable, il faut que le cadre juridique offre des prises aux requérants. Une partie de la capacité des collectifs locaux à mobiliser le droit est liée aux évolutions juridiques dans le domaine du droit de l’urbanisme, de l’environnement, du patrimoine ou des paysages, des procédures de participation ou de concertation ou de transparence. Certaines associations peuvent inclure dans leurs revendications des demandes d’évolution du cadre juridique national pour permettre des possibilités accrues de recours en référence à des procédures qui existent dans d’autres contextes nationaux ou qui sont promus par des organisations supra-nationales. Dans certains contextes nationaux des évolutions du droit peuvent avoir pour objectif affiché de limiter les possibilités de recours pour sortir de situations de blocages des politiques publiques.

Quelle est la place de cette mise en capacité d’agir par le droit dans la diffusion de la conflictualité locale ?

Des processus législatifs ou des réformes administratives sont, explicitement ou implicitement, marqués par l’idée que certains conflits ne sont pas traités correctement ou que certaines activités doivent être plus strictement encadrées pour éviter la conflictualité liée aux externalités négatives. Des nouvelles lois ou des réformes peuvent avoir comme objectif d’éviter que certaines situations ne se reproduisent, en particulier à cause de leur caractère conflictuel. Dans d’autres cas, la possibilité de la multiplication de situations de conflits peut être utilisée pour justifier une non action, le maintien du statu quo, le retrait d’un projet de loi.

Comment une situation de conflits se convertit-elle en une référence justifiant une production législative ou l’adaptation de procédures administratives qui modifient les conditions de régulation des activités en cause ou de saisie juridique des conflits ?

Si nous souhaitons organiser les débats autour de ces différentes dimensions des effets des mobilisations et du contact avec le droit pendant les conflits de proximité, ces deux journées de débats doivent aussi permettre d’identifier d’autres formes d’effets. En réunissant juristes, sociologues du droit, politistes, géographes et spécialistes de l’analyse des conflits nous souhaitons ainsi initier une réflexion sur la place de la multiplication des situations de conflits - de l’expérience de l’accès au droit pour les groupes mobilisés et de l’épreuve du contentieux pour les acteurs publics - dans les évolutions des rapports au droit et des demandes de droits dans les sociétés contemporaines.


[1] Ce texte repose sur les débats développés au sein des projets CONFURB et DeSCRI, il doit beaucoup aux synthèses réalisées sur la dimension juridique des conflits par Antonio Azuela, Vicente Ugalde et Patrice Melé

[2] Cf le projet de recherche de Vicente Ugalde, guest du Studium, de septembre 2012 à septembre 2013 en accueil sabbatique au sein de l’UMR CITERES. Cf aussi Projet CONFURB : Conflits de proximité et dynamiques urbaines (France, Mexique, Canada), P. Melé (coord). pour l’ANR SHS « Conflits, guerre(s), violence » de l’ANR-SHS » (2007-2011) et projet DeSCRI, Décider en situation de crise : gestion des déchets, conflits et concertations (France, Italie, Mexique), P. Melé (coord.) pour le programme CDE, Concertation, décision, environnement, Ministère de l’écologie, de l’énergie et du développement durable, ADEME (2008-2012), voir aussi le programme en cours (2012-2016) Localiser les infrastructures de traitement des déchets : modes de régulation et conflits locaux (Mexique, France) (2012-2016), programme ECOS-Nord et de l’Association Mexicaine des Universités (ANUEIS), coord. Vicente Ugalde pour le CEDUA du Colegio de Mexico et P. Melé pour UMR CITERES / CoST.