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COST

SOPHY

Conditions d’acceptabilité des changements de pratiques agricoles

Contrat débuté en 2011, achevé en 2014
(coord. : Françoise Sitnikoff)

Autres membres de CITERES :

  • Alex Alber, sociologue, Maître de conférences
  • Christèle Assegond, sociologue, Ingénieur de recherche, chercheur associée
  • Estelle Durand, sociologue, Ingénieur de recherche, chercheur associée
  • Nadine Michau, sociologue anthropologue, Maître de conférences

Partenaires académiques :

  • UMR-CNRS 6035 IRBI, Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte Université François Rabelais, Tours
  • ÉA 2101 LI Laboratoire d’Informatique, Université François Rabelais, Tours
  • ÉA 6294 LEA L’Équipe Alimentation, Université François Rabelais, Tours
  • Centre d’Expertise et de Transfert Universitaire (CETU) -ETIcS
  • Université François Rabelais, Tours http://etics.univ-tours.fr
  • Centre d’Expertise et de Transfert Universitaire (CETU) -Innophyt

Résumé :

Le secteur de l’agriculture se trouve aujourd’hui confronté à un ensemble de transformations, dont l’évolution des politiques agricoles françaises et européennes, qui incitent les agriculteurs à adopter des pratiques culturales plus respectueuses de l’environnement. Cette remise en cause du modèle sociotechnique dominant touche autant les techniques, les compétences professionnelles que les systèmes de valeurs des agriculteurs.

Partant de l’analyse des pratiques professionnelles d’agriculteurs, la recherche SOPHY a mis en évidence cinq profils construits à partir des rapports à l’innovation et aux institutions, et de l’inscription dans les réseaux sociaux et professionnels. Ces profils éclairent la manière dont les agriculteurs se positionnent par rapport au changement de pratiques culturales, en se conformant, jouant ou se détournant des réseaux institutionnels traditionnels. La question des possibilités de réappropriation de leur métier occupe ici une place prépondérante. La recherche, pluridisciplinaire (sociologie, biologie, informatique), repose sur une enquête de terrain (observations ethnographiques et entretiens sociologiques approfondis) menée auprès d’agriculteurs de cinq filières de production végétale représentée en Région Centre-Val-de-Loire : grandes cultures (enquête principale), arboriculture, maraîchage, horticulture, viticulture (enquêtes exploratoires).

Descriptif :

Le secteur de l’agriculture se trouve aujourd’hui dans un contexte de forte injonction au changement, en particulier en ce qui concerne les pratiques culturales : réduction et interdiction des intrants chimiques, gestion des énergies, marché de l’agriculture biologique en forte croissance, attentes sociales en matière de sécurité alimentaire... Pour répondre à ces enjeux, les filières agricoles doivent engager des changements profonds qui touchent non seulement les techniques mais également les compétences professionnelles et les systèmes de valeurs. Aussi, les agriculteurs donnent-ils le sentiment d’être face à une alternative limitée : être ou ne pas être convaincus par les nouveaux modèles proposés. Or, la technique, aussi performante soit-elle, reste inopérante si elle n’est pas acceptée par ceux qui doivent la mettre en œuvre. Les changements engagés par la nécessité de réduire l’utilisation des intrants chimiques ne sont pas de simples changements à la marge, ils affectent le cœur même des pratiques professionnelles. Pour un agriculteur, s’engager sur la voie de la réduction de ces intrants, signifie modifier profondément ses manières de faire, mais aussi modifier tout ou partie de son système de valeurs. Nous sommes donc face à des mécanismes complexes de décision individuelle et collective qu’il convient d’analyser le plus finement possible.

La recherche SOPHY propose d’observer et d’analyser cette étape spécifique où l’agriculture doit passer de pratiques culturales éprouvées à des solutions innovantes plus diverses, plus complexes, et finalement globalement plus incertaines.

Les objectifs :

La recherche SOPHY mobilise les Sciences humaines, mais aussi les Sciences et techniques et les Sciences informatiques, ainsi que l’expertise des Chambres d’Agriculture, de structures interprofessionnelles et de coopératives. Elle propose de repérer et d’analyser les dynamiques techniques et sociales, favorables ou non au changement dans les cultures professionnelles de cinq filières agricoles présentes en Région Centre, avec une priorité donnée aux Grandes cultures. La recherche devrait mettre en évidence les conditions d’acceptabilité de ces changements. Quelles sont les dynamiques sociales et techniques à l’œuvre (représentation des risques, perception des politiques publiques, organisation du travail, rapport à la technique…) dans le changement de pratiques ? Au regard des alternatives disponibles, quelles sont les options techniques les plus acceptables du point de vue de l’agriculteur ? Quelles sont celles qui constituent aujourd’hui un frein à l’adoption de nouvelles pratiques ?

La méthodologie :

L’originalité de la recherche est de proposer une approche des conditions d’acceptabilité des pratiques culturales alternatives, à partir d’enquêtes de terrain (observations ethnographiques et entretiens sociologiques approfondis) portant sur un nombre important d’agriculteurs. Certaines des observations ont été filmées et l’image a servi à la fois de matériau d’analyse, de support d’échanges avec les différents partenaires et d’outil de valorisation des résultats de la recherche, à travers la production de vidéos courte et d’un film documentaire.

L’analyse des récits de pratiques et des trajectoires des enquêtés, a permis de construire des profils de comportement face au changement. Il ne s’agit alors pas seulement de reconstruire les trajectoires techniques des agriculteurs, mais bien d’inscrire ces dernières dans leur trajectoire plus globale et dans le contexte technique, social et familial dans lequel ils évoluent. Les images filmiques ont permis de mettre en évidence les points les plus significatifs de l’analyse.

L’approche pluridisciplinaire a offert un espace de réflexions méthodologiques pour chacune des disciplines concernées (sociologie, biologie, informatique) ; de renouvellement des problématiques et des questionnements sur les pratiques agricoles et les changements induits par le contexte actuel.

Le projet a été élaboré avec l’appui d’un comité socio-économique qui est constitué de 12 acteurs agricoles auquel s’ajoute un représentant de la direction de l’agriculture du conseil régional : un négoce de céréales (Beauce Gâtinais Céréales), la fédération régionale des coopératives agricoles (FRCA), les Chambres départementales d’agriculture (CDA) du 28, 37, 41 et 45, la Chambre régionale d’agriculture et 5 centres techniques de différentes filières spécialisées : biologique (Bio-centre), horticole (Centre de Développement Horticole), vitivinicole (Institut Français de la Vigne), arboricole (Initiative Développement Fruits et légumes) et la Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles. Ce comité socioéconomique a participé au comité de pilotage qui réunissait l’ensemble des partenaires du projet. Il a eu un rôle ressource au cours de la recherche, en facilitant l’accès aux terrains pour les chercheurs et en apportant l’expertise et la connaissance de chacun des contextes socio-économique, technique et institutionnel, propres aux filières.

Synthèse :

Dans le contexte actuel d’injonctions politiques et institutionnelles à adopter des pratiques culturales plus respectueuses de l’environnement, la recherche Sophy s’est attachée à comprendre les différents positionnements des agriculteurs par rapport au changement et à l’innovation. À partir d’une méthodologie mobilisant la sociologie, la biologie et l’informatique, ainsi que l’expertise des Chambres d’agriculture, de structures interprofessionnelles et de coopératives, il s’est agi d’analyser les dynamiques techniques et sociales favorables ou non au changement dans cinq filières de production végétale représentée en Région Centre Val-de-Loire. La recherche repose sur une enquête de terrain portant sur les pratiques professionnelles des agriculteurs en grandes cultures (enquête principale), en arboriculture, maraîchage, horticulture et viticulture (enquêtes exploratoires). Nous avons réalisé plus de quatre-vingt-dix entretiens sociologiques approfondis et des observations ethnographiques sur les exploitations. L’expertise des chercheurs en biologie a permis de mieux saisir le contexte et l’univers technique dans lequel évoluent les agriculteurs. Certains enquêtés ont été filmés lors des entretiens et dans leur activité de travail. Plusieurs vidéos courtes et un film documentaire ont été produits. L’image a servi d’outil d’investigation, de support de réflexion (pour les enquêtés, les partenaires non-académiques comme pour les chercheurs) et d’outil de communication. Les entretiens ont été traités à l’aide du logiciel Sonal ce qui a permis de réaliser des analyses thématique et lexicométrique, mais également d’expérimenter de nouvelles façons de représenter les résultats d’enquêtes qualitatives.

Sur le terrain, nous avons pu observer que, si la grande majorité des agriculteurs enquêtés se dit producteur conventionnel ou raisonné – ce qui correspond à la réalité du secteur –, la plupart d’entre eux expérimentent, parfois depuis longtemps, d’autres pratiques culturales. Ce constat nous a amenés à considérer le changement comme un processus lent et silencieux. Nous avons également repéré l’existence de rapports ambivalents vis-à-vis des institutions et organismes professionnels.

Dans un premier temps, nous pensions mettre l’accent sur les différences liées aux cultures professionnelles associées à chacune des filières étudiées. Très vite, il est apparu plus pertinent de faire une analyse transversale en mettant en perspective les cinq filières. En effet, l’analyse a mis en évidence cinq profils d’agriculteurs construits à partir de leurs rapports à l’innovation et aux institutions, et de leur inscription dans les réseaux sociaux et professionnels : les exécutants, les coopératifs, les stratèges, les émancipés et les entrepreneurs. Ces profils, que l’on retrouve dans toutes les filières – même si certains sont plus présents dans l’une ou l’autre –, éclairent la manière dont les agriculteurs se positionnent par rapport au changement de pratiques culturales.

Nous avons fait un focus sur la perception qu’ont ces agriculteurs de leur environnement institutionnel et professionnel : parmi les enquêtés, nous avons retenu des agriculteurs types pour chacun des profils ; à partir de leur discours et des interlocuteurs mentionnés (individus, groupes, organismes ou institutions) nous avons élaboré des cartographies permettant de visualiser la diversité, le degré d’intensité, la qualité et la nature des relations entretenues. Ces cartographies montrent comment, selon les profils, les agriculteurs vont se conformer, jouer ou se détourner des réseaux institutionnels traditionnels dans leur activité et dans leur rapport au changement de pratiques. La question des possibilités de réappropriation de leur métier occupe ici une place prépondérante.

La nécessité de changer de pratiques est une idée partagée par la plupart des enquêtés. Ainsi, ce qui peut apparaître comme une résistance au changement, doit être analysé comme une revendication – légitime du point de vue des agriculteurs – d’être associés, dans un processus de co-construction des savoirs et de la définition institutionnelle du métier. Par ailleurs, la promotion de l’agriculture biologique comme modèle légitime, est perçue comme un déni des autres voies possibles de changement et comme une forme de mépris institutionnel pour ceux qui les expérimentent et qui les pratiquent.