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Colloque

Abraham Ecchellensis (Hâqil, 1605 - Rome, 1664) et la science de son temps

Du 9 juin 2006 au 10 juin 2006

L’année 2005, qui correspond au quatrième centenaire de la naissance d’Abraham Ecchellensis (Ibrahîm Al-Hâqilânî), offre l’opportunité d’attirer l’attention sur sa personne et son œuvre, même avec quelques mois de retard, à l’occasion d’un colloque. Au-delà de la figure individuelle, cette rencontre permettra de réfléchir sur la production et la diffusion scientifiques en milieu catholique au début du XVIIe siècle, et sur la place que les maronites, dont Abraham Ecchellensis est sans doute le représentant le plus brillant et le plus attachant, y prirent.

Le personnage, par sa vie exceptionnelle et ses nombreux talents, mérite qu’on retienne l’attention sur lui. La chronologie exacte d’une existence bien remplie n’est pas encore entièrement établie. Arrivé au collège maronite de Rome en 1620, il y mena une fronde contre le préfet et le système d’éducation qu’y pratiquaient les jésuites, d’après ce qu’il en a lui-même tardivement écrit dans le manuscrit syriaque 410 de la Bibliothèque Vaticane, exigeant plus de respect à l’égard de la « nation maronite », et un traitement moins humiliant des élèves. Dès cette époque, il fréquentait les Orientaux de Rome, Yuhanna al-Hasrûnî et Victor Shalaq Al-‘Aqûrî, occupés à des œuvres d’érudition orientaliste et à des tâches de médiation entre les maronites du Liban et les autorités princières. Après un bref retour au Liban, Abraham Ecchellensis se mit au service de l’émir Fakhraddîn (qui avait vécu en Italie de 1613 à 1618). Dans le cadre de ces activités, il séjourna à Livourne, puis remplit des missions militaro-commerciales en Afrique du Nord, jusqu’à la capture (1633) et la mise à mort de l’émir (1635). Dès cette époque Abraham Ecchellensis commençait parallèlement une carrière dans l’érudition, d’abord au service de la papauté, comme interprète à la congrégation De Propaganda Fide, expert dans la traduction de la bible en arabe, et enseignant d’arabe et de syriaque à la Sapienza. Il enseigna ensuite les langues orientales à Pise (1633 – 1637). Il fut appelé à Paris pour collaborer à la bible polyglotte en 1641. Après un retour à ses fonctions à Rome, il revint à Paris en 1645, pour occuper les chaires de syriaque et d’arabe au Collège Royal, qu’il quitta sans doute suite à la Fronde en 1651, pour retourner définitivement à Rome. Il enseigna ensuite au Collège Romain, et termina sa vie en tant que scriptor à la Bibliothèque Vaticane (à partir de 1660), dont il établit le premier catalogue des manuscrits orientaux.

Ce colloque s’attachera moins à la biographie d’Abraham Ecchellensis qu’à la place qu’il occupa dans la « république des lettres » du XVIIe siècle, entre Rome, Paris et Pise, à l’influence que ses œuvres exercèrent sur l’orientalisme européen dans différents domaines, et sur la construction de l’identité maronite.

A une époque où la prise de connaissance de l’histoire et des textes du christianisme oriental étaient un enjeu essentiel de l’émulation non seulement entre catholiques et protestants, mais encore entre centres catholiques rivaux (Rome, Paris, les Médicis), plusieurs maronites firent carrière dans l’érudition en Europe, attirés par les pensions des princes. C’est Savary de Brèves qui, le premier, d’abord à Rome, puis à Paris, sut recruter des anciens élèves du Collège maronite pour des travaux orientalistes. Abraham Ecchellensis, qui appartenait plutôt à la seconde génération, fut un des plus cotés, si on en croit les pensions qui lui furent attribuées. Il était au cœur d’un réseau de correspondances et de collaborations autour de travaux scientifiques. A Paris, il se gagna la protection de Nicolas de Bailleul et du chancelier Séguier, auxquels il dédia une partie de ses travaux. Ses controverses avec son compatriote Gabriel Sionite (Sahyûnî) et avec Valérien de Flavigny sont connues, de même que les lettres qu’il échangea avec Jean Morin, et que celui-ci publia. On connaît moins ses liens avec André Du Ryer, révélés dans une publication récente. A Rome, il collabora entre autres avec Athanase Kircher pour ses travaux sur la langue copte (Prodromus Coptus et Lingua Aegyptiaca restituta).

L’érudition philologique orientale du XVIIe siècle se fixait deux objectifs : mettre des ouvrages imprimés faisant autorité entre les mains des chrétiens arabisants, et donner accès aux textes orientaux au public savant européen, soit par l’apprentissage des langues et l’édition bilingue, soit par des traductions. La grande affaire du premier XVIIe siècle était l’édition de la bible, avec l’entreprise de la bible en arabe à Rome, puis de la Polyglotte de Paris (1645), à laquelle Ecchellensis contribua avec le livre de Ruth et le troisième livre des Macchabées. Il composa aussi une méthode linguistique pour apprendre la grammaire syriaque (imprimerie de la Propagande, 1628) et un dictionnaire arabe (Nomenclator arabico-latinus) resté inédit. Mais il fut surtout un traducteur, à un moment où l’objectif de Savary de Brèves, de faire lire les ouvrages en langue originale avec une traduction côte à côte, avait été abandonné. La controverse et l’apologétique ne se distinguaient guère de l’érudition au XVIIe siècle. Abraham Ecchellensis entendait aussi apporter sa contribution à la défense de la foi catholique contre les protestants en donnant accès au patrimoine chrétien oriental, avec sa traduction d’Hebediesu (Rome, 1653), son Rite de la confession d’après Denys Bar Salibi, ou son Eutychius vindicatus (Rome, 1661), réplique au protestant John Selden. Il fit connaître la tradition ascétique égyptienne avec sa publication de la vie et des lettres de Saint Antoine. De ce point de vue, il paraît caractéristique de l’érudition catholique du XVIIe siècle, qui, à la suite de Baronius, entendait réaffirmer la légitimité de l’Eglise en exhumant son passé, notamment ses saints, par une méthode rigoureuse, et surclasser les travaux protestants par la supériorité de la documentation publiée. Ainsi, Abraham Ecchellensis, comme les autres érudits maronites, participait pleinement à l’activité intellectuelle des cercles dans lesquels il exerçait ses fonctions. Un des objectifs du colloque serait de délimiter exactement sa place dans cet univers intellectuel, dans lequel il est sans doute plus représentatif qu’original. Encore pourrait-on s’interroger plus finement sur le choix des textes qu’il décide de publier, et sur sa méthode de traduction. Ses origines orientales et arabophones l’amènent aussi, semble-t-il, à défendre la dignité des Orientaux et à valoriser leur culture face aux milieux savants européens. C’est ce qu’il fit déjà, selon son témoignage, en tant que jeune élève du collège maronite. Par la suite, en donnant la traduction de Burhân al-Dîn al-Zarnûjî (Semita sapientiae sive ad scientias comparandas methodus…), il combat dans sa préface le préjugé, courant, que les musulmans ne doivent pas s’adonner aux lettres. Des œuvres musulmanes, il publia aussi une Synopsis propositarorum sapientiae arabum philosophorum…, et un traité sur les vertus médicales des plantes, des animaux et des pierres de Abd-al-Rahmân Abu Bakr al-Suyûtî. Il collabora enfin avec le professeur de mathématique de Pise Giovanni Alfonso Borelli pour traduire à partir de plusieurs manuscrits arabes et éditer le traité d’Apollonius de Perga sur les cônes (Florence, 1661). Dans la défense de sa communauté et de son Eglise d’origine, il apporta également une contribution. Il fut en particulier le premier à faire connaître le Kitâb al-huda, compilation canonique du XIe siècle, qu’il présenta comme les constitutiones Ecclesiae maronitarum. Il apporta ainsi sa pierre à la construction de l’histoire et à l’édification de l’identité maronites.

Les participants au colloque pourraient tenter d’évaluer la postérité de l’œuvre d’Abraham Ecchellensis en tentant d’analyser comment des auteurs postérieurs, comme le patriarche maronite Istifân Al-Duwayhî ou l’érudit Richard Simon, recoururent à ses travaux.

Programme ci-dessous