Accueil du site > Actualités > Colloque « Il n’y a pas si longtemps, il n’y a pas si loin : camps de concentrations et espaces de ségrégation dans la Méditerranée et dans ses environs (fin 19e-21e siècles) »
Colloque
15-17 juin 2020, MSH Val de Loire, Tours
Appel à communications date limite : 15 mars 2020
Contexte
Depuis les années 1990, les flux migratoires vers l’Europe ont conduit à un recours généralisé à l’internement, justifié avec la nécessité de contrôler les populations qui arrivent sur les côtes européennes. Bien que chaque pays adopte sa propre législation et ait une histoire différente en ce qui concerne ses propres structures de détention, la logique qui les sous-entend semble être partagée : concentrer dans les lieux de détention une masse humaine qui doit être identifiée, régulée et, finalement, admise ou expulsée du territoire européen. Cette logique trouve sa légitimité politique dans les principes énumérés par la Commission européenne elle-même à l’occasion de l’adoption des accords de Schengen en 1985 relativement au contrôle des frontières extérieure de l’« Espace Schengen » (https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:42000A0922(02):fr:HTML). Quelles qu’en soient les raisons, l’existence de ces lieux de détention, véritables camps d’internement où les migrants sont maintenus pendant des mois dans un état de privation de liberté et de violation des droits qui n’est pas la conséquence judiciaire d’un acte criminel, rappelle d’autres formes de détention du passé. Elle évoque instinctivement un univers concentrationnaire (Rousset, 1945) qui a, parmi ses prédécesseurs, les différentes typologies de camps d’internement créés dans les territoires coloniaux (Agamben, 1996, Kramer, 2018). Par ailleurs, dans certains pays, les camps ne sont pas officiellement établis, mais ils ressemblent plutôt à des espaces délimités qui peuvent être soit détachés des zones peuplées, soit difficilement séparables des espaces environnants. En ce sens, le confinement se produit toujours à travers des espaces qui sont pensés comme exceptionnels, souvent autour comme d’une ville ou d’un village plutôt que physiquement configurés comme tels (Carpi, 2017).
Ces réflexions sont le point de départ de la structuration d’un projet financé par la MSH Val de Loire de Tours pour la constitution d’un réseau scientifique. Ce colloque s’inscrit donc au sein de ce projet qui se veut interdisciplinaire et international et qui se propose de réunir des chercheur.es travaillant à la fois sur une perspective historique et sur la contemporanéité. L’objectif est celui de proposer une analyse comparée des formes d’internement établies par les métropoles coloniales du sud de l’Europe (France, Espagne, Italie, Portugal) à leur intérieur et au sein de leurs empires et de les relier aux morphologies des différentes méthodes de réclusion contemporaines visant en particulier les migrants et les réfugiés.
L’hypothèse qui sera mise en débat au cours du colloque est que la combinaison de la mise en place de dispositifs de contrôle contraignants avec l’identification de catégories considérées « dangereuses » que les autorités souhaitent limiter dans leur action, crée un système de pouvoir et de contrôle des Etats sur les populations qui devient paradigmatique avec la consolidation des empires coloniaux modernes au 19e siècle (Forth, 2017). C’est dans cette mesure que les discussions engendrées par la notion de « colonialité » trouvent toute leur place, là où avec ce terme on désigne non seulement une forme particulière de domination politique et économique exercée sur les « autres » sociétés, mais aussi un projet d’hégémonie intellectuelle et symbolique qui tend à déshumaniser ses membres afin de justifier leur soumission.
Propositions de communications
Les propositions de communication devront se rattacher de manière prioritaire à l’un de ces axes :
a) Histoires et mémoires des régimes d’enfermements coloniaux
La communication devra aborder une étude de cas portant sur la morphologie des systèmes de ségrégation en tant qu’expression ultime de la violence coloniale. Il s’agira aussi d’analyser l’impact social de ces systèmes sur les territoires et les populations, ainsi que l’empreinte qu’ils ont laissée sur la configuration de la mémoire locale et régionale ; il faudra, là où il sera possible, mettre en exergue les caractérisations d’âge et de genre des enfermements, y compris dans l’élaboration des mémoires et, d’un autre côté, prendre en considération celle qu’on pourrait définir une « économie des confinements » à la fois du point de vue micro-historique et globale.
b) L’héritage colonial dans la conception des centres d’internement pour migrants
Les pratiques contemporaines de rétention des migrants dans l’ensemble du bassin méditerranéen répondent à la nécessité présumée de maîtriser les flux de population vers l’Europe. En réalité, elles finissent souvent pour être des espaces de longue ségrégation dont l’analyse de l’impact sur les réalités locales est négligée – à savoir : quels sont les réactions des populations qui vivent autour de ces espaces, sans y être confinés ? Quels types de changements ces espaces produisent dans leur environ, à la fois sous l’aspect social et économique ? Il semble ainsi indispensable de s’interroger sur les héritages possibles légués par les systèmes de ségrégation coloniaux dans la configuration de ces instruments de contrôle, souvent punitifs et répressifs. L’objectif est donc de mettre au jour les logiques répressives déployées au sein de ces mécanismes d’internement et d’analyser des morphologies sociales et politiques des centres de rétention pour migrants éparpillés tant dans les pays maghrébins que dans la plupart des pays européennes du bassin de la Méditerranée, souvent à l’aide des financements provenant de l’UE.
c) Juridictions des lieux d’internement passés et contemporains
S’il semble important d’analyser l’appareil juridique qui a légitimé les systèmes de concentration à l’époque coloniale, il est d’autant plus décisif d’analyser l’héritage de ces corpus sur les pratiques contemporaines d’internement. Ainsi, il faudra : vérifier si les dispositifs de confinement mis en place par les autorités coloniales après la Grande Guerre ont adapté leur réglementation au traitement des prisonniers civils et militaires prévu par la Convention de Genève de 1949 ; vérifier s’il existe une caractérisation de genre dans l’élaboration des instruments juridiques qui déterminent les pratiques d’internement, prêter attention à la généalogie de la législation existante et notamment à celle qui régit le système Frontex et ses liens avec le Bureau européen d’appui en matière d’asile et l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne.
d) Transfert de connaissances et globalisation de l’internement
Les modalités des politiques d’internement changent de pays en pays et d’une époque à l’autre, jusqu’à nos jours. Cependant, il semble important de porter l’attention sur celle qu’on pourrait définir la « circulation de techniques d’internement transnationales », à savoir : est-il possible d’identifier une continuité et des liens entre les stratégies d’internement mise en oeuvre dans un pays déterminé et un autre ? Existe-t-il des personnages, des institutions publiques ou privées que facilitent les échanges entre les différents pays, et à différentes époques, le transfert des savoirs qui accompagnent la mise en oeuvre d’une politique d’internement ? Existent-elles des pratiques partagées qui caractérisent l’établissement des politiques d’internements ? Quels sont les canaux de transmission de ces connaissances et comment changent-ils au fil du temps ?
e) Théorie de l’internement
La pratique des internements suivait – et suit encore – des logiques qui traversent l’ensemble des sociétés et qui ne se limitent pas au consensus pour la création des formes de réclusion pour les « délinquants ». Si dans la création des premiers camps de concentration à la fin du 19e siècle les raisons de leur établissement semblent retomber essentiellement dans le domaine des stratégies militaires (Hyslop, 2011), il n’en reste pas moins que leur institution porte aux conséquences les plus extrêmes une hiérarchie sociale et politique dans laquelle se reflet la relation entre dominateurs et dominés. Dans les sociétés colonisées cet archétype semble être évident ; mais dans les sociétés colonisatrices – pendant et après les décolonisations - il est souvent maquillé avec le paradigme sécuritaire qui s’accompagne avec celui d’une prétendue modernisation modelant, ainsi la structuration même des Etats. Cet axe vise donc à mettre en exergue : 1) celle qu’on pourrait définir une véritable « philosophie » de l’internement, ses origines et ses évolutions ainsi qu’à définir le rôle qu’elle joue non seulement à l’égard des espaces de confinement, mais aussi à leur extérieur – à savoir en tant que levier des dispositions de répression sociale et politique mises en oeuvre par les gouvernements ; 2) celle qu’on pourrait appeler « l’ontologie » des internés, à savoir les formes de classification des catégories sociales visées par les stratégies d’internement (rebelles, soulevés, homosexuels, prostitués, migrants clandestins, terroristes, etc.) ainsi que leur changement dans l’espace et dans le temps.
Temps et modalités de soumission des propositions
Les propositions - 4000 caractères en français, espagnol ou anglais (langues officielles du colloque) - devront parvenir le 15 mars 2020 dernier délai, accompagnées d’un CV de 2 pages maximum, à l’adresse e-mail ilnyapaslongtemps@free.fr La réponse sera donnée au plus tard le 30 mars 2020.
Télécharger l’appel à communications (Français, Anglais, Espagnol)