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Etalement urbain et opérations immobilières périurbaines pour classes moyennes à Marrakech : production, peuplement et modes d’habiter
Notre projet consiste à étudier les modalités d’émergence de quartiers périphériques « intermédiaires » à Marrakech, qui ne sont ni des bidonvilles, ni des lotissements de villas de haut standing. Notre travail de Master nous a permis de montrer que ces quartiers émergents sont habités par une population aux origines sociales et aux professions fort diverses. Cette population a pour caractéristique commune de n’être ni vraiment riche, ni vraiment pauvre, d’avoir des revenus réguliers et d’être en situation d’ascension sociale. Pour l’instant, et par commodité, nous classerons cette population dans la catégorie des « classes moyennes », étant bien entendu que cette notion mérite ample discussion. Dans ces quartiers émergents, les habitants viennent de déménager, autrement dit de réaliser une mobilité résidentielle. Leurs itinéraires résidentiels révèlent qu’ils ne viennent pas directement de la campagne : ils habitaient précédemment en médina ou dans des quartiers centraux, ou encore dans d’autres villes avant de venir s’installer dans leur logement actuel. L’analyse des motifs de déménagement et les stratégies résidentielles mises en œuvre par ces habitants devrait permettre de saisir à quel point l’installation dans un quartier périphérique neuf est porteur de distinction sociale. L’analyse des pratiques urbaines, par exemple celle des déplacements dans la ville, les lieux des activités quotidiennes, les modes d’habiter, sont susceptibles d’exprimer une évolution des valeurs et des normes de cette catégorie de population. En somme, ces pratiques urbaines pourraient refléter les transformations sociales qui traversent une partie assez large de la société marocaine. Ces valeurs sont axées sur l’individu, la protection de la « petite famille » et un éloignement bien calculé par rapport aux voisins et à la famille élargie. Voici en tout cas quelques hypothèses que nous proposons de vérifier.
Partant de ce travail et des acquis de la recherche urbaine, qui nous font penser que le citadin ordinaire est un co-producteur de la ville , nous souhaitons identifier en quoi et comment cette population aux itinéraires hétérogènes et aux revenus réguliers participe à la fabrication de la périphérie de Marrakech. De fait, Bernard KAYSER rappelait il y a déjà longtemps, dans la revue Tiers-Monde, que les classes moyennes, dans les pays du Sud, par leur solvabilité - ce qui n’est toutefois forcément pas le cas de la totalité de ce groupe social, cela l’est de sa grande majorité -, par la pénétration qu’ils ont opérée dans les institutions (ce sont souvent des fonctionnaires), par les professions exercées (nombre d’entre eux sont architectes, universitaires, agents immobilier…), etc., colorent d’une teinte particulière l’urbanisme, la production immobilière et l’appropriation des quartiers qui ont été construits de manière officielle. Nous émettons l’hypothèse que ces quartiers périphériques intermédiaires sont le lieu, le véhicule, et le produit d’un nouveau modèle de style de vie en ville - la citadinité - qui se traduit par des reformulations des pratiques et des identités spatiales – les territorialités . Ce nouveau modèle est partie prenante à la fois des processus d’intégration sociale, au sein d’un groupe social en formation, mais aussi de ségrégation par rapport à d’autres catégories de population. Ce sont ces processus que nous serons amenée à analyser et à expliquer dans la thèse.
En outre, notre travail, même s’il s’inscrit dans un espace bien déterminé, fait en réalité appel à des processus qui se déploient sur d’autres villes. La ville contemporaine au Maghreb, comme on peut l’observer ailleurs, se caractérise par le développement d’une ampleur historique, dans sa périphérie, d’une urbanisation au tissu composite. C’est ce que d’aucuns appellent le phénomène de « périurbanisation » . Par les investissements financiers qu’il met en jeu, par les tensions sociales qu’il peut impliquer, le développement des périphéries interroge le devenir de la ville. Il représente des enjeux urbains, sociaux, économiques et politiques importants. Ces enjeux peuvent aussi être d’ordre culturel. De fait, la périurbanisation peut revêtir une forme de processus d’occidentalisation des modes de vie, et des transferts globalisés des manières de « faire la ville » et « d’être » en ville. Quelles sont alors sont les références à un modèle occidental ? Quels sont les modèles urbanistiques qui circulent et comment ? Ces notions, ces enjeux, ces questions, nous les poserons dans le contexte de Marrakech, une ville où les transformations sociales sont accélérées, la pression immobilière intense, l’urbanisation extrêmement rapide. Les migrations internes en direction de l’agglomération urbaine se sont intensifiées, car l’attractivité de la ville s’exerce désormais non seulement à l’échelle régionale, mais aussi, et de plus en plus, aux échelles nationale et internationale. Notre méthodologie consistera à analyser le contenu et le sens que donnent les habitants à leur mobilité résidentielle. Les itinéraires résidentiels sont ici un outil pour comprendre comment ces catégories intermédiaires participent à la fabrication de la ville, et pour comprendre leurs pratiques et les représentations qu’elles se forgent de la ville . L’expérience par un individu des différentes échelles spatiales, telles que les divers espaces qui recouvrent ses parcours migratoires, de l’espace urbain et à l’échelle du quartier, à laquelle s’imbrique l’expérience des générations antérieures et celles de la famille de l’individu, donne un contenu et un sens aux itinéraires et structure les relations entre itinéraires et espace urbain. Ce sont, nous dit Bénédicte FLORIN, « les relations polysémiques [sens et contenu] entre les parcours [résidentiels], les espaces où ils se déploient – ou bien où ils se fixent - et le cadre sociétal dans lesquels ils s’inscrivent qui peuvent nous éclairer sur ces processus d’appartenance qui participent aux processus de territorialisation » (FLORIN B., 2002, p.120). Nous serons donc amenée au cours de notre étude des raisons de l’installation, des pratiques urbaines, des représentations et du processus de territorialisation, à faire des allers-retours permanents entre ce que nous observerons et que nous dirons les personnes interrogées et le contenu et le sens des itinéraires résidentiels. Pour la thèse, nous sélectionnerons trois quartiers périphériques habités par une population ni vraiment riche, ni vraiment pauvre. Un de ces quartiers sera situé dans la ville nouvelle où le Roi Mohamed VI projette d’installer à terme 250 000 habitants dans des logements qui, selon ses propres propos, seront « adaptés à la classe moyenne pour qu’elle puisse acquérir un nouveau style de vie ». Pour recueillir les informations nécessaires, nous adopterons une méthodologie fondée sur l’analyse d’entretiens. Nous réaliserons auprès des habitants des entretiens semi-directifs et nous recueillerons des récits de vie. Nous compléterons la méthode par l’observation participante. Les enquêtes seront qualitatives, inscrites dans des temps longs, avec des passages répétés pour comprendre les temporalités de la fabrication de la périphérie. Nous analyserons les différentes séquences de l’ancrage ou du décrochage résidentiel pour comprendre pourquoi les habitants arrivent dans le nouveau quartier, comment ils s’y installent, mais aussi pourquoi et comment ils en partent.
Bibliographie Ne sont mentionnés que les ouvrages cités ici.
BERRY-CHIKHAOUI (Isabelle) et DEBOULET (Agnès), dir. 2000. Les compétences des citadins dans le Monde Arabe : Penser, faire et transformer la ville. Paris. BOULAY (Sébastien). 2005. « Génèse, représentations et usages de l’espace de la famille chez les bédouins maures (Mauritanie) » in La famille dans tous ses espaces. Erès, n°1/2. pp. 200 - 217. FISHER. 1981. La psychosociologie de l’espace. PUF, Collec. "Que sais-je ?". FLORIN (Bénédicte). 2002. « Itinéraires résidentiels et processus de Exemples au Caire » in Lire les territoires, JEAN (Yves) et CALENGE (Collec. Perspectives Villes et Territoires, n°3. pp. 106 - 117. 300 p. GHOMARI (Mohamed). « L’espace limitrophe. Pratiques habitantes et représentations territoriales » in Public et privé en Islam, KERROU (Mohamed), dir. Maisonneuve et Larose. pp 201 - 223. JAILLET (Marie-Christine). 2004. « L’espace périurbain : un univers pour les classes moyennes » in La ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurbanisation. Paris, Esprit n°4, Seuil. pp 40 - 61. 278 p. KAYSER (Bernard). 1985. « Pour une analyse de la classe moyenne dans les pays du Tiers Monde : Composition de la classe moyenne, une classe des contradictions et le devenir de celle-ci. » Revue Tiers-Monde - n°101,janvier-mars. p.7-30 LEVY (Jacques) et LUSSAULT (Michel). 2003. Dictionnaire de géographie et des sciences de l’espace social. Belin. PIAGET (Jean) et FRAISSE (Paul). 2005. La psychologie expérimentale. Presses Universitaires de France - PUF ; 13ème édition. TARRIUS (A.). 2000. Les nouveaux cosmopolitismes : Mobilités, identités, territoires. La Tour d’Aigues, Ed. de l’Aube. VIEILLARD-BARON (Hervé). 2001. Les banlieues, des singularités françaises aux réalités mondiales, Paris, Hachette, 287 p.