Section 3D Modes de vie des occupants du Bâtiment 3 (Période 2c, v.550-v.600) Philippe Husi, James Motteau, Frédéric Poupon
Associé au Bâtiment 3, le dépotoir F372 a livré un important matériel constitué d’ossements animaux, de céramiques, de verreries et de petits objets de la vie courante. Quoique variés les éléments reflétant la culture matérielle y restent modestes, ce qui ne préjuge en rien du niveau social des utilisateurs. Ainsi, la vaisselle de céramique ou de verre semble assez ordinaire, même si la seule présence de récipients en verre est déjà en soi un marqueur social (Pl.3D, Fig. 1).
La vaisselle en terre cuite (PH) Mis à part quelques éléments décorés et la présence de fragments de poteries de production locale imitant des sigillées paléochrétiennes, la vaisselle en terre cuite s’inscrit bien dans le faciès régional et ne brille pas par son originalité (Pl.3D, Fig. 2) (Husi 2008a,i ; dir.2013 à paraître). Les récipients sont presqu’exclusivement de couleur sombre, réalisés en atmosphère réductrice, mode de cuisson habituel pour ces périodes (Randoin 1981 ; Bébien, Husi 2005 : 40 ; Husi dir. 2013 à paraître). Bien que les pots soient la forme majoritaire, une des caractéristiques de cette période, déjà observée par ailleurs, est la forte présence des formes ouvertes, particulièrement celle des coupes héritées de la tradition antique. On peut également signaler la présence de couvercles. Les pots à cuire ou des coupes façonnées dans des productions grossières, souvent entièrement ou partiellement lissées, sont régulièrement munis de registres décoratifs de molettes, parfois complexes, qui s’inscrivent bien dans une tradition technique et décorative qui se met alors en place. Ces décors, présents sur les pots, mais surtout sur les coupes traduisent le caractère ostentatoire d’une partie de la vaisselle qui doit probablement être utilisée pour le service et pour la table. Pour conclure, cette vaisselle reflète assez fidèlement le répertoire du très haut Moyen Age. Les seuls indices typologiques ou décoratifs suffisamment remarquables pour y voir une certaine originalité de la vaisselle sont la présence non négligeable d’imitations locales de sigillées paléochrétiennes. Presque la moitié des individus de ce type recensés dans la fouille l’ont été dans ce bâtiment (11 individus sur un total de 23). L’écueil le plus important à l’interprétation sociale de ce matériel est la rareté des sites de comparaison, notamment urbains, et, en conséquence, la signification à accorder à la faiblesse quantitative des corpus céramiques exhumés.
La vaisselle de verre (JM) La vaisselle de verre se démarque nettement de celle du Bas Empire par le traitement des lèvres, maintenant presque systématiquement rebrûlées ; majoritairement constituée de formes ouvertes, bols souvent caractérisés par une forte lèvre, coupes et gobelets (40 %), elle présente une proportion importante d'indéterminés (près de 60 %) due principalement à la grande fragmentation du mobilier récupéré (Pl.3D, Fig. 3). Une seule forme de contenant, bouteille mal définie, a été identifiée. La verrerie est sobre, généralement simplement soufflée à la volée, les décors obtenus par soufflage dans un moule ou par ajout de filets de verre blanc opaque ne représentant que 15 % de ce mobilier, pourcentage correspondant aux qualités moyenne et de luxe de l’Etat 2 des thermes. Trois lèvres évasées et meulées, typiques du Bas Empire, sont présentes ; leur production semble bien s'arrêter avant l'établissement de cet ensemble et ce sont alors des pièces en dépôt secondaire ou les dernières survivantes de conception gallo-romaine. De même, trois lèvres de bols à bandeau proviennent de ce dépotoir : deux d'entre elles appartiennent au comblement supérieur de la fosse et peuvent être intrusives ; l'autre, bien calée dans un niveau intermédiaire, serait alors la première manifestation des bols considérés comme caractéristiques du 7e siècle (Motteau 1985 : 10-12). A partir de ces données, il est difficile d'estimer le rang social des occupants de cette structure. Dans l'Est de la France, en particulier, les sépultures contenant des pièces de verreries sont censées correspondre à des personnes de rang élevé (Feyeux 2003 : 239).
Mobilier/équipement domestique (JM) La plupart des petits objets de la vie quotidienne correspondent également à des accessoires courants. Il s’agit d’éléments vestimentaires (épingles), de parure (perle) et de toilette (peigne en os) (Pl.3D, Fig. 4). Toutefois, la fosse contient aussi quelques objets qui se démarquent des autres, comme un passe-courroie, un porte-équipement, un bracelet et des épingles à cheveux en bronze qui n’appartenaient vraisemblablement pas à n’importe quel type d’individu. Des lampes à huile perpétuent la tradition romaine et peuvent provenir d'Afrique du Nord. Le profil des groupes de petit mobilier correspond à celui de l’Etat 2 des thermes, avec une forte proportion d'objets personnels et d’équipement domestique (Motteau et al. 1991).
Le régime carné (FP) Le régime carné est classiquement fondé sur la triade porc-bœuf-capriné (73% des restes) avec une consommation préférentielle de la viande de porc (50%) (Pl.3D, Fig. 5). Comparés aux restes osseux de la phase précédente (Thermes Etat 2), la part du bœuf a fortement diminué au profit des caprinés. Les pièces de viande privilégiées renvoient toujours aux parties les plus charnues (épaule, jambon, cuisse ou gigot) (Pl.3D, Fig. 6). Néanmoins, la consommation préférentielle de viande d’agneaux de moins d’un an (Pl.3D, Fig. 7) au détriment d’une viande bovine encore issue majoritairement d’animaux de réforme témoigne d’une meilleure qualité du régime carné. La qualité de la viande porcine semble également connaître une amélioration ; elle se traduit par l’augmentation de l’abattage des jeunes individus de moins d’un an au détriment des sujets abattus entre un an et deux ans et demi (Pl.3D, Fig. 8). La part de la basse-cour (19%) a considérablement augmenté et occupe une bonne place sur la table, le coq étant toujours la volaille la plus prisée au détriment de l’oie, du canard et du pigeon. La fréquence des huîtres, quoique en baisse, et celle des poissons, n’est cependant pas négligeable puisqu’elle totalise 7% des restes. A l’inverse, l’approvisionnement en mammifères et oiseaux sauvages, qui reste faible (0,7%), ne semble toujours pas caractériser une population aisée. Toutefois, comme sur la plupart des (rares) sites urbains du haut Moyen Âge, la liste des espèces est beaucoup plus diversifiée qu’auparavant. Les contradictions apparentes conduisent à se demander si la qualité des produits carnés consommés représente réellement la demande spécifique d’une population aisée ou si, au contraire, elle est anecdotique et représente simplement les possibilités d’approvisionnement au moment précis du comblement du dépotoir.
L'’interprétation socio-fonctionnelle du mobilier au sens large, poterie, verre et objets, issu du dépotoir F372 lié au bâtiment 3 n’est donc pas aisée, et ce pour deux raisons majeures. D’une part, les références archéologiques, régionales et urbaines, pour ces périodes font défaut et, d’autre part, il nous est impossible de conforter ces quelques interprétations par d’autres sources traitant de l’habitat civil ou privé, et donnant des renseignements, par exemple, sur la composition des cellules familiales ou des structures d’habitat.